Avant d'atteindre l'atrium, les deux patriciens furent informés que Lolius Urbicus était mort quelques minutes auparavant et l'on croyait qu'il s'agissait d'un suicide.
Le décès de son mari faisait partie du sinistre plan de Claudia, maintenant propriétaire d'un riche patrimoine financier, car de cette manière, il ne resterait personne pour éclairer Helvidius Lucius sur l'infamie que l'ancienne plébéienne croyait avoir jeté sur le nom de son épouse. En outre, tard dans la nuit, Sabine avait pris l'un des parchemins vierges signés de la main du préfet, et imitant parfaitement son écriture rédigea un billet laconique où il se reconnaissait fatigué de la vie et suppliait Flavius Corneille, son ami de tous les temps, de lui pardonner les dommages moraux qu'il lui avait causés.
Pénétrant abasourdis chez leur ennemi mort, Fabius et Helvidius furent abordés par Claudia Sabine qui leur est apparue en larmes en ce matin tragique.
Après avoir déploré la tragique décision de son époux qui avait déserté la vie, Sabine livra au censeur le dernier billet d'Urbicus, qu'elle disait avoir été écrit par son mari à sa dernière heure, laissant transparaître une grande curiosité concernant cette demande de pardon injustifiable et étrange. Elle désirait ainsi, connaître les premiers résultats du funeste travail d'Hatéria, attendant anxieusement des informations indirectes des lèvres d'HeMdius ou quelque allusion venant de Fabius que son esprit vindicatif attendait impatiemment.
Le censeur et son beau-fils, néanmoins, reçurent sèchement et avec indifférence le supposé billet d'Urbicus. Et comme il fallait dire quelque chose face à cet événement imprévisible, Fabius Corneille a ajouté :
Je garderai ce billet comme preuve de son déséquilibre mental dans ses derniers instants car il n'y a que comme cela que peut se justifier une telle demande. Et maintenant, Madame - a-t-il dit énigmatiquement à Claudia qui l'écoutait avec attention -, vous devez nous excuser de devoir nous retirer car chacun a ses disgrâces...
Le vieux patricien lui a tendu sa main en guise d'adieu mais sentant sa curiosité aiguisée par cette expression, l'ancienne plébéienne a demandé avec intérêt, comme pour provoquer quelque clarification de la part d'HeMdius Lucius qui était renfermé dans un mutisme énigmatique.
Disgrâces ? Mais que désirez-vous dire par là ? Vous prétendez m'abandonner dans cette situation ? Pourquoi quittez-vous ainsi cette maison quand le cadavre d'un ami et d'un chef exige le témoignage de la vénération et de l'amitié ? Par malheur est-il arrivé quelque chose de grave à Alba Lucinie ?...
De toute évidence, cette dernière question avait un mystérieux sens. Elle attendait qu'Helvidius lui parle de sa tragédie domestique, de ses profonds chagrins conjugaux, de l'infidélité de sa femme, comme elle avait prévu que cela se déroulerait dans ses plans. Son cœur bâtard s'attendait à ce que l'homme aimé, à cet instant, lui manifeste toutes les attentions aimantes si ardemment désirées pendant ces derniers mois où ses sentiments mesquins avaient aussi caressé de grands espoirs. Cependant, le tribun restait impassible comme s'il avait les lèvres pétrifiées.
Fabius Corneille, néanmoins, sans trahir sa fibre orgueilleuse, éclaira Sabine en ces termes :
Ma fille va bien, grâce aux dieux, mais nous venons aussi d'être blessés au plus profond de notre cœur ! Un émissaire de Campanie nous a apporté ce matin, la pénible nouvelle de la mort subite de ma petite-fille célibataire qui se trouvait auprès de sa sœur, en cure de repos. C'est la raison qui nous empêche de prêter au préfet les derniers hommages puisque nous venions justement lui communiquer notre départ immédiat pour Capoue afin de réaliser le transport des cendres!...
Une fois que cela fut dit, les deux hommes se sont sèchement retirés, sortant d'un pas ferme au bruit des amis et des serviteurs empressés qui manifestaient bien évidemment à Lolius Urbicus les dernières adulations.
Devant cette scène énigmatique, Sabine laissait aller ses pensées à des suppositions. Hatéria aurait-elle oublié d'accomplir aveuglement ses ordres ? Qu'était-il arrivé à sa rivale dont les nouvelles la laissaient perplexe, alors qu'elle avait tout prémédité avec tant d'assurance ? Néanmoins, les préjugés sociaux et les obligations de cette heure extrême que sa propre méchanceté avait provoquées, ne lui permettaient pas de courir comme une folle à la poursuite de sa complice, où qu'elle soit, pour assouvir sa curiosité.
Et alors que son esprit se perdait dans des divagations agitées, Fabius Corneille et son beau-fils s'adressaient à l'Empereur, obtenant la licence nécessaire pour les besoins du voyage en Campanie, qui leur céda immédiatement une confortable galère qui les recevrait à Ostie, afin d'écourter le plus possible leur voyage.