- C'est là troisième fois que je le relis... Ce... C'est tout pour moi. Y a tout là-dedans... Ce type, je le connais par cœur... C'est moi. C'est mon frère. Tout ce qu'il dit, je le comprends. Comment y pète les plombs. Comment il souffre. Comment il est toujours en train de se répéter, de s'excuser, d'essayer de comprendre les autres, de se remettre en question, comment il s'est fait jeter par sa famille, ses parents qui captent rien, les séjours à l'hosto et tout ça... Je... Je vais pas te raconter ma vie, t'inquiète, mais c'est troublant, tu sais... Comment il est avec les filles, comment il tombe amoureux d'une bêcheuse, comment on l'a méprisé et le jour où il a décidé de se mettre en ménage avec cette pute, là... Celle qui était enceinte... Nan je vais pas te raconter ma vie, mais il y a des coïncidences qui m'ont fait halluciner... À part son frangin, et encore, personne ne croyait en lui. Personne. Mais lui, tout fragile et tout taré qu'il était, il y croyait, lui... Enfin... Il dit ça, qu'il a la foi, qu'il est fort et euh... La première fois que je l'ai lu, presque d'une traite tu vois, j'avais pas compris le truc en italiques à la fin...
Il le rouvrit :
-
Camille était scotchée. Pchiii... Sa cendre venait de tomber dans son café.
— C'est n'importe quoi ce que je viens de dire ?
— Nan, nan, au contraire... je...
— Tu l'as lu, toi ?
— Bien sûr.
— Et tu... Ça t'a pas fait souffrir ?
— Je me suis surtout intéressée à son travail... Il s'y est mis tard... C'est un autodidacte... Un... Tu... tu les connais ses toiles ?
— Les tournesols, c'est ça ? Nan... J'y ai pensé pendant un moment, d'aller feuilleter un livre ou quoi, mais j'ai pas envie, je préfère mes images...
— Garde-le. Je te le donne.
— Tu sais... Un jour... si je m'en sors, je te remercierai. Mais là je peux pas... Je te l'ai dit, je suis raboté jusqu'au trognon. À part ce gros sac à puces, j'ai plus rien.
— Tu pars quand ?
— La semaine prochaine normalement...
— Tu veux me remercier ?
— Si je peux...
— Laisse-moi te dessiner...
— C'est tout ?
— Oui.
— Nu?
— Je préférerais...
— La vache... Tu l'as pas vu mon corps...
— Je l'imagine...
Il nouait ses baskets et son chien sautait dans tous les sens.
— Tu sors ?
— Toute la nuit... Toutes les nuits... Je marche jusqu'à épuisement, je passe prendre ma dose quotidienne à l'ouverture du service et je reviens me coucher pour tenir jusqu'au lendemain. J'ai pas encore trouvé mieux pour le moment...
Du bruit dans ie couloir. La pile à poils se figea.
— Y a quelqu'un... paniqua-t-il.
— Camille ? Tout va bien ? C'est... c'est ton preux chevalier, ma chérie...
Philibert se tenait dans l'encadrement de la porte, un sabre à la main.
— Barbes ! Couché !
— Je... Je suis ri... ridicule, là, non ?
Elle fit les présentations en riant :
— Vincent, voici Philibert Marquet de la Durbel-lière, général en chef d'une armée en déroute, puis, se retournant : Philibert, Vincent... euh... que... comme Van Gogh...
— Enchanté, répondit-il en rengainant son bazar. Ridicule et enchanté... Eh bien, je... Je vais me replier n'est-ce pas...
— Je descends avec toi, répondit Camille.
— Moi aussi.
— Tu... Tu viendras me voir ?
— Demain.
— Quand ?
- Dans l'après-midi. Euh ? Avec mon chien ?
- Avec Barbes, bien sûr...
- Ah! Barbes... se désola Philibert. Encore un fou furieux de la République, celui-là... J'aurais préféré l'abbesse de Rochechouart, tiens !
Vincent l'interrogea du regard.
Elle leva les épaules, perplexe.
Philibert, qui s'était retourné, s'offusqua :
- Parfaitement ! Et que le nom de cette pauvre Marguerite de Rochechouart de Montpipeau soit associé à ce jean-foutre est une aberration !
— De Montpipeau ? répéta Camille. Putain mais vous avez de ces noms... Au fait ? Pourquoi tu t'inscris pas à
— Ah ! Tu ne vas pas t'y mettre aussi ! Tu sais bien pourquoi...
— Non. Pourquoi ?
— Le temps que j'appuie sur le champignon, ce sera déjà l'heure du journal...
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