Ce mercredi 20 juin, à la Chancellerie, Hitler prend d’abord connaissance de l’article qu’Alfred Rosenberg publie dans le Völkischer Beobachter et qui est l’une des premières réponses au discours de Papen à Marburg. Le théoricien nazi affirme au nom du parti : « Nous n’avons pas fait la révolution de notre temps pour qu’une époque surannée puisse proclamer sous le mot d’ordre « révolution conservatrice » la restauration de l’État d’il y a cinq cents ans... » Hitler donne de nouveaux ordres : les chefs du Parti, Goebbels, Hess, doivent eux aussi contre-attaquer, montrer que le régime n’acceptera pas d’être vidé de son contenu par Messieurs les seigneurs conservateurs.
Au moment où le Führer s’apprête à regagner ses appartements, Franz von Papen demande à être reçu immédiatement. En fait, le vice-chancelier patiente depuis plusieurs heures et Hitler va être contraint d’affronter l’homme de Marburg, celui contre lequel « il monte » une vigoureuse campagne de presse. Les deux hommes se craignent ; il y a quelques mois montrant le bâtiment de la vice-chancellerie, le Führer avait dit à Rosenberg : « C’est de là que viennent toutes nos difficultés, un jour je nettoierai tout cela ». Mais, ce soir, les deux hommes se saluent cérémonieusement, pourtant derrière la façade des politesses la tension est présente. L’entrevue menace d’être orageuse. Papen proteste contre la censure imposée par Goebbels : un ministre peut-il interdire la diffusion des discours du vice-chancelier du Reich ? « J’expliquai à Hitler, raconte Papen, que je considérais comme mon devoir de prendre nettement position, car la situation était devenue critique. Le moment était venu, afflrmai-je, où lui-même devait prendre position. »
Hitler écoute : il a parfaitement compris qu’on l’invite à mettre de l’ordre, à freiner l’ardeur des S.A., les violations de la légalité que commettent les nazis. Toutes les forces – Reichswehr, Gestapo, conservateurs – le poussent à rompre l’équilibre établi entre les différents courants qui l’ont porté au pouvoir. Mais chacun des hommes – Himmler, Heydrich, Blomberg, Goering et aussi Papen – qui veulent voir l’équilibre rompu, se tourne vers le Führer. Franz von Papen n’échappe pas à la règle : « II devait se rendre compte, continue le vice-chancelier, que je tenais toujours à notre association, c’était justement pour cette raison que je le suppliais de réfléchir aux problèmes que j’avais soulevés ». On a besoin du Führer, et cela Hitler le sait, on a besoin de lui dans tous les camps, y compris dans celui des S.A.
Puis Papen hausse le ton, son attitude se fait plus arrogante. « De toute façon, dit-il, le vice-chancelier du Reich ne peut tolérer qu’un nouveau ministre (Goebbels) interdise la publication d’un discours officiel ».
Papen ménage ses effets, puis il lance : « J’ai parlé en mandataire du président. L’intervention de Goebbels va m’obliger à démissionner. J’en avertirai immédiatement Hindenburg... »
Voilà la carte des conservateurs pour contraindre Hitler à céder, à rompre avec les S.A., à respecter la légalité. Hindenburg, statue du commandeur qui pourrait foudroyer Hitler en ralliant autour de lui l’armée, les conservateurs, la masse des Allemands. « À moins que l’interdiction de mon discours ne soit rapportée, continue Papen, et que Hitler lui-même ne prenne l’engagement d’adopter la ligne de conduite que j’ai préconisée ».
Hitler paraît hésiter. « Il essaya de me calmer, raconte Papen. Il admit que Goebbels avait gaffé pour essayer d’éviter une aggravation de la tension déjà existante ». Mais Papen menace encore, il va démissionner et von Neurath, ministre des Affaires étrangères, Schwerin von Krosigk, ministre des Finances, partiront avec lui. « Je vais à Neudeck, ajoute-t-il, et je demande que le discours soit publié ». Hitler saisit la balle au bond : il ira à Neudeck avec Papen. Les collaborateurs du vice- chancelier l’ont mis en garde contre cette proposition de Hitler. Papen ne doit pas accepter une visite commune à Hindenburg qui viderait de toute signification le discours de Marburg. Mais Papen, comme il l’a dit, ne veut pas rompre son « association avec Hitler ». Le Führer insiste. « Il faut examiner l’ensemble de la situation, dit-il, la discussion ne pourra avoir de résultats tangibles que si le chancelier y assiste. » Papen, finalement, accepte la proposition du Führer. Alors, celui-ci promet d’ordonner à Goebbels de lever l’interdiction du discours de Marburg, puis « il se lance dans une violente tirade contre l’insubordination générale des S.A. Elles compliquent de plus en plus sa tâche et il va être forcé de les ramener coûte que coûte à la raison ». Les Sections d’Assaut : une fois de plus ce sont elles, qui dans cette journée du 20 juin, subissent le contrecoup de l’événement. Pour se protéger de l’attaque de Papen, de Hindenburg, pour éviter de se couper de l’aile « conservatrice » de son gouvernement Hitler charge la S.A. Ira-t-il jusqu’à la sacrifier ?
LA FÊTE DE L’ETE