Non, monsieur. J'avoue n'y rien comprendre et je me perds en conjectures. Il va de soi que ces gens-lа ne peuvent A
tre tous incriminйs, mais je serais bien embarrassй de nommer le coupable dans la bande. Comment diable vous y кtes-vous pris pour dйcouvrir le pot aux roses ? Voilа ce qui m'intrigue.J'ai tout simplement rйflйchi.
Laissez-moi vous dire que vous кtes un malin. Oui. un rude malin ! Je suis prкt а le proclamer devant le monde entier !
Mr Hardman se pencha en arriиre et regarda Poirot avec admiration :
Excusez-moi, mais personne ne s'en douterait en vous voyant. Je vous tire mon chapeau, monsieur Poirot.
Vous кtes trop aimable, monsieur Hardman.
Pas du tout. Je m'incline devant votre supйrioritй.
Ce problиme n'est pas entiиrement rйsolu, dit Poirot. Nous ne tenons pas encore le nom du meurtrier de Ratchett.
Nйanmoins, tant de finesse de votre part me dйpasse. Sans parler de moi-mкme, il y a encore deux personnes sur lesquelles vous n'avez rien devinй jusqu'ici : la vieille dame amйricaine et la femme de chambre. Sans doute les tenez-vous hors de tout soupзon ?
A moins que nous ne puissions les comprendre dans notre collection en qualitй de. lingиre et cuisiniиre de la famille Armstrong.
Rien au monde ne peut me surprendre dйsormais ! s'exclama Mr Hardman, rйsignй. Il me semble que je vis parmi des fous.
Ah ! mon cher Poirot, vous poussez le jeu un peu trop loin, objecta M. Bouc.
Poirot se tourna vers lui :
Vous n'y comprenez rien ? Voyons, dites-moi un peu, savez-vous qui a tuй Ratchett ?
Et vous ? riposta M. Bouc.
Oui, dit Poirot. Je le sais depuis un moment dйjа. C'est si simple que cela saute aux yeux. Je m'йtonne que vous ne le voyiez pas. Et vous, monsieur Hardman ?
Le dйtective hocha la tкte :
Ma foi, non, je ne puis dire qui est l'assassin.
Aprиs quelques secondes de silence, Poirot se tourna vers Mr Hardman :
Voudriez-vous avoir l'obligeance de rйunir ici tous les voyageurs, monsieur Hardman ? Deux solutions se prйsentent а mon esprit et je voudrais les exposer devant tout le monde.
□
Les voyageurs se rassemblиrent dans le wagon-restaurant et prirent place autour des tables. Tous les visages exprimaient l'attente et l'apprйhension. La Suйdoise continuait а pleurer et Mrs Hubbard а la consoler.
Allons, un peu de courage ! Tout va s'arranger. Ne vous laisser pas aller а vos nerfs. Si parmi nous il y a un assassin, on sait bien que ce n'est pas vous. Il faudrait кtre dйment pour vous accuser d'un pareil crime ! Lа. Asseyez-vous prиs de moi et tranquillisez-vous.
Poirot se leva.
L'employй des wagons-lits qui se tenait prиs de la porte demanda :
Vous me permettez de rester, monsieur ?
Certainement, Michel.
Poirot commenзa :
Mesdames et messieurs, je m'exprimerai en anglais, puisque vous connaissez touts plus ou moins cette langue. Nous sommes ici pour rechercher la vйritй sur l'assassinat de Samuel Edward Ratchett,
« Vous connaissez tous les faits. Mr Ratchette a йtй, ce matin, trouvй assassinй а coups de couteau. Nous savons qu'il vivait а 0h37 la nuit derniиre, puisqu'а cette heure il parla au conducteur а travers la porte. Sur cette montre brisйe dйcouverte dans la poche du pyjama de la victime, les aiguilles marquaient 1h15. Le docteur Constantine, qui examina le cadavre, situe la mort entre minuit et deux heures du matin. A minuit et demi, ainsi que vous le savez tous, le train est bloquй par la neige. Donc, aprиs cette heure, il est impossible а quiconque de quitter le train.
« Mr Hardman, membre d'une agence de dйtectives de New York (plusieurs tкtes se tournиrent vers Mr Hardman) nous certifie que personne n'aurait pu passer devant son compartiment, le n°16, sans кtre aperзu par lui. Force nous est de conclure que le meurtrier se cache parmi les voyageurs de la voiture Stamboul-Calais.
« Telle йtait du moins notre hypothиse.
Comment ? balbutia M. Bouc, interloquй.
Toutefois, je vais vous en soumettre une autre tout а fait simple. Mr Ratchett, menacй par un de ses ennemis, donne а Mr Hardman le signalement de cet individu et lui dit que l'attentat, s'il doit avoir lieu, se produira probablement durant la seconde nuit du voyage.
« Je vous ferai observer, mesdames et messieurs, que Mr Ratchette en savait peut- кtre plus qu'il n'en a rйvйlй. Or а Vincovci, le colonel Arbuthnot et Mr MacQueen, descendus un instant sur le quai, ont laissй la porte ouverte. Un individu, ayant endossй sur ses vкtement un uniforme de la Compagnie des Wagons-Lits et muni d'un passe- partout de conducteur, monte dans le compartiment de Mr Ratchett profondйment endormi sous l'influence d'un narcotique. L'assassin le frappe а plusieurs reprises avec grande violence et quitte le compartiment par la porte communiquant avec celui de Mrs Hubbard.