– Tu as ton téléphone? demanda Adamsberg.
Soliman tâtonna dans l'herbe pour y chercher son pantalon, et en décrocha le portable. Adamsberg appela les flics de Châteaurouge.
– Ils arrivent, dit-il en s'asseyant dans l'herbe, à côté du corps du Canadien.
Il posa son front sur ses genoux, et s'appliqua à respirer lentement.
– Comment tu m'as trouvé? demanda-t-il.
– Après ton départ, je me suis couché. Lawrence a traversé le camion tout doucement, ses vêtements sous le bras, et il s'est habillé dehors. J'ai soulevé la bâche et par la claire-voie, je l'ai vu s'éloigner dans ta direction. J'ai compris qu'il allait te chercher pour une bonne petite explication, à propos de Camille, et je me suis dit que ça ne me regardait pas. Pas vrai? Mais le Veilleux s'est dressé tout droit sur son lit et il a dit “Suis-le, Sol”. Et il a tiré le fusil de sous son lit et il me l'a collé dans les bras.
– Le Veilleux veillait, dit Adamsberg.
– Faut croire. Après, j'ai vu le trappeur te barrer la route et j'ai pensé que ça allait être une bonne petite explication. Et puis ça a mal tourné et tu lui as dit “Salut, Padwell”, ou quelque chose comme ça. À ce moment, j'ai pigé qu'il ne s'agissait pas d'une bonne petite explication.
Adamsberg sourit.
– T'allais te faire tuer, commenta Soliman.
– On avait un train de retard sur lui, dit Adamsberg en fronçant les sourcils. Depuis le début. On en a rattrapé un bout mais il nous manquait quelques heures.
– Je croyais que Padwell était mort.
– C'est son fils. Stuart.
– Tu veux dire que le fils accomplit les volontés du père? demanda Soliman en contemplant le corps du trappeur.
– Quand le père a tué Simon Hellouin, le gosse avait dix ans. Il a vu le meurtre. Après quoi, le petit Stuart était fichu. D'autant que sa mère a foutu le camp aussitôt avec le frère Hellouin. Pendant ses dix-huit ans de tôle, Padwell a dû entretenir son fils dans l'idée fixe de la vengeance, de la suppression de tous les hommes qui lui avaient pris sa mère et qui l'avaient gardée loin d'eux.
– Mais les deux autres gars? Sernot et Deguy?
– Deux amants de la mère, nécessairement. Il n'y a pas d'autre explication.
– Mais Suzanne? dit Soliman d'une voix creuse. Qu'est-ce qu'elle avait à voir là-dedans? Elle aurait su tout cela sur le trappeur?
– Suzanne ne savait rien du tout.
– Elle l'a vu attaquer les brebis avec son putain de crâne?
– Rien du tout, je te dis. Ce n'est pas parce qu'elle a parlé d'un loup-garou qu'il l'a tuée. C'est parce qu'elle n'a
– Mais bon Dieu, dit Soliman, la voix tremblante, pour quoi faire?
– Pour lancer la rumeur d'un homme au loup. Rien que pour ça, Soliman. Il n'allait pas faire l’erreur de la lancer lui-même.
Soliman soupira dans l'obscurité.
– Je ne comprends pas tout ce cirque avec les loups.
– Il fallait qu'on croie au carnage d'un fou, à des meurtres de hasard, et il avait besoin d'un coupable. Il a créé une psychose autour d'un Massart lycanthrope et sanguinaire. Il avait d'excellents éléments pour le faire. Du métier, des moyens, des connaissances, l'alibi de sa présence dans le Mercantour.
– Et Massart?
– Massart est mort. Depuis le début. Il a dû l'enterrer quelque part sur le mont Vence. Voilà les flics, Sol.
Adamsberg et Soliman vinrent au-devant des gendarmes, l'un torse nu, l'autre en caleçon. Fromentin avait amené en renfort des hommes de la brigade de Montdidier. Dix hommes ne lui semblaient pas de trop pour ceinturer l'homme au loup.
– Allez-y, dit Adamsberg en désignant le corps de Lawrence. Appelez un médecin, je l'ai blessé à la tête.
– Qui est ce gars? demanda Fromentin en braquant sa lampe-torche sur le visage du Canadien.
– Stuart Donald Padwell, le fils de John Padwell. Il est connu ici sous le nom de Laurence Donald Johnstone. Voici l'arme, Fromentin.
– Merde, dit-il, ce n'était pas un loup.
– Juste son crâne. On trouvera les extrémités des pattes quelque part dans le coffre de sa moto.
L'adjudant dirigea sa lampe sur le crâne, l'expression intéressée.
– C'est un loup de l'Arctique, dit Adamsberg. II avait tout préparé là-bas.
– Je comprends, dit Fromentin en hochant la tête. Les loups arctiques sont les plus grands de tous les loups, et de loin.
Adamsberg le regarda, étonne.
– J'aime bien les bêtes, expliqua Fromentin d'un air embarrassé. Je me documente par-ci par-là.
Il braqua la lumière sur le bras d'Adamsberg.
– Ça saigne, dit-il.
– Oui, dit Adamsberg. Il a rouvert la blessure en me sautant dessus.
– Qu'est-ce qui lui a pris de se découvrir?
– C'est ce soir. Je l'ai regardé.
– Et alors?
– J'ai vu sur son visage les traits de John Padwell. Il savait que je m'obstinais sur son père, il a pigé que j'allais piger.
Adamsberg regarda passer Lawrence, soutenu par deux gendarmes. Un troisième gendarme lui rendit sa chemise et son holster. Soliman récupéra son pantalon.