Ils ne sont pas les seuls. Combien de blessures les mathelles ont-elles infligées au nouveau monde ? Combien de sources pillées ? Combien de terres épuisées ? Combien de blessures les djemales ont-elles infligées à leurs sœurs ? Combien de souffrances à l’intérieur du conventuel ? Combien de ventresecs tués par les flèches ou les poignards des chasseurs ? Combien d’hommes et d’enfants assassinés par les errants pour l’honneur d’une femme ou d’un clan ? Combien de massacres sur les deux continents ? Combien de déséquilibres apportés par les êtres humains, par tous les êtres humains, depuis qu’ils ont posé le pied sur cette planète ?
Ce n’est pas le rôle des Qvals que d’intervenir ?
Nous intervenons, et ce n’est pas une question de devoir. Mais nous ne sommes qu’une part de ce monde, la part des eaux bouillantes. Notre destin s’est lié à celui des hommes depuis leur arrivée sur Ester. Nous nous appliquons à restaurer les équilibres, à panser les blessures secrètes, mais, pas davantage que sur Ester, nous ne pourrons empêcher le pire d’arriver si les hommes persistent à ne pas respirer au rythme de leur planète d’adoption.
Le pire ?
Sur Ester, le pire s’est traduit par l’instabilité d’Aloboam, son étoile. La vie des étoiles n’est pas éternelle bien entendu, car tout relève des cycles dans l’univers, mais les déchirures dans la trame peuvent accélérer le cours des choses, influer sur la fréquence et la durée des cycles.
Et sur le nouveau monde ?
Le nouveau monde est un point particulier dans le tissu universel, une exception, un nœud qui échappe aux lois habituelles de l’espace et du temps. Le pire, ici, se traduira, se traduit déjà, par des contractions soudaines de l’espace et des accélérations brutales du temps.
Comme mue par un ressort, Alma se releva et s’approcha du bord du bassin. Vu de plus haut, le Qval avait la forme d’un animal au corps rond et au long cou qui s’étirait encore pour se hisser à sa hauteur.
Tu… vous voulez dire que le temps finira par nous dévorer ?
Le temps dévore ses enfants de toute façon, hormis les fils de l’éternel présent. D’habitude, il laisse à chacun la possibilité de se familiariser avec lui, de l’explorer, de comprendre ses exigences, ses mécanismes, de l’apprivoiser, mais, là, il s’engouffrera dans la faille, il s’accélérera d’une façon vertigineuse, il effacera purement et simplement les hommes de la création. Pas seulement les habitants du nouveau monde, mais, puisque nous appartenons au même chœur, tous les peuples humains qui sont un jour partis de leur terre d’origine pour peupler d’autres planètes des galaxies Endrome et Lactée.
Il n’y a pas moyen d’empêcher ça ?