En règle générale, Barnabe et Manahen étaient les prédicateurs les plus remarqués qui enseignaient l'Évangile aux assemblées hétérogènes. Saûl de Tarse se limitait à coopérer. Lui- même avait remarqué que Jésus lui avait recommandé l'absolu recommencement de ses expériences. Un beau jour, il fit son possible pour conduire les prédications générales, mais il n'arriva à rien. Si prendre la parole lui était si facile en d'autres temps, elle semblait lui avoir été retirée de la gorge à présent. Il comprit qu'il était juste de souffrir des tortures du recommencement, en vertu de l'occasion qu'il n'avait pas su valoriser. En dépit des barrières qui se levaient dans ses activités, jamais il ne se laissait dominer par le découragement. S'il occupait la tribune, il avait une extrême difficulté à interpréter les idées les plus simples. Parfois, il en arrivait à rougir de honte devant le public qui attendait ses conclusions avec un brûlant intérêt vu sa renommée de prédicateur de Moïse au Temple de Jérusalem. De plus, le sublime événement de Damas l'entourait d'une noble et juste curiosité. Barnabe lui-même, à plusieurs reprises, avait été surpris par sa dialectique confuse dans l'interprétation des Évangiles et réfléchissait à son expérience passée de rabbin qu'il n'avait pas connu personnellement, et à la timidité qui l'assaillait juste au moment de conquérir le public. De ce fait, il fut discrètement éloigné de la prédication et fut mis à profit dans d'autres activités. Saûl, quant à lui, comprenait et ne se décourageait pas pour autant. S'il n'était pas possible de retourner rapidement au travail de prêche, il se préparerait, à nouveau, à cela. Raison pour laquelle, il retenait des frères humbles dans sa tente de travail, et pendant que les mains tissaient avec assurance, il entamait des conversations sur la mission du Christ. La nuit, il promouvait des conférences dans l'église avec la coopération de tous ceux qui étaient présents. Tandis que ne s'organisait pas la direction supérieure du travail des assemblées, il s'asseyait avec les ouvriers et les soldats qui comparaissaient en grand nombre. Il s'intéressait à la condition des blanchisseuses, des jeunes malades, des humbles mères. Il lisait, quelquefois, des morceaux de la Loi et de l'Évangile, il faisait des comparaisons, provoquait de nouvelles idées. Dans le cadre de ces activités constantes, la leçon du Maître semblait toujours touchée d'une lumière progressive. Bientôt, l'ex-disciple de Gamaliel était devenu un ami aimé de tous. Saûl se sentait immensément heureux. Il avait une énorme satisfaction chaque fois qu'il voyait sa pauvre tente pleine de frères qui venaient le voir, pris de sympathie. Les commandes ne manquaient pas. Il avait toujours assez de travail pour ne pas devenir un poids. Là, il connut Trophime qui lui serait un compagnon fidèle dans bien des moments difficiles ; c'est là aussi qu'il a étreint Tite pour la première fois, à l'époque où ce dévoué collaborateur sortait à peine de l'enfance.
L'existence, pour l'ex-rabbin, ne pouvait être plus tranquille, ni plus belle. Le jour était plein des marques harmonieuses d'un travail digne et constructif ; la nuit venue, il se retrouvait à l'église en compagnie de ses frères et se livrait avec plaisir aux questions sublimes de l'Évangile.
L'institution d'Antioche était, alors, bien plus attrayante que l'église de Jérusalem. On y vivait dans un environnement d'une pure simplicité, sans s'inquiéter des rigoureuses coutumes du judaïsme. Il y avait de la richesse parce que le travail ne manquait pas. Tous aimaient les obligations diurnes, et attendaient le repos de la nuit lors des réunions de l'église qui étaient une bénédiction de Dieu. Les Israélites, loin des exigences pharisiennes, coopéraient avec les gentils, se sentant tous unis par des liens souverains fraternels. Rares étaient ceux qui parlaient de circoncision et, comme ils représentaient une faible minorité, ils étaient amicalement incités à la fraternité et à l'union. Les assemblées étaient dominées par de profonds ascendants d'amour spirituel. La solidarité se pratiquait sur des bases divines. Les douleurs et les joies des uns appartenaient à tous. L'union de pensées autour d'un seul objectif donnait l'occasion à de belles manifestations de spiritualité. Certaines nuits, il y avait des phénomènes de « voix directes ». L'institution d'Antioche fut l'un des rares centres apostoliques où de telles manifestations réussirent à atteindre une culminance indéfinissable. La fraternité régnante justifiait cette concession du ciel. Les jours de repos, la petite communauté organisait des études évangéliques à la campagne. L'interprétation des enseignements de Jésus se faisait dans quelque coin doux et solitaire en pleine nature, presque toujours sur les bords de l'Oronte.