Elle est devenue une lectrice assidue du dit Évangile des Galiléens. Nous avons réfléchi à l'idée de l'éloigner d'une telle nouveauté spirituelle, mais Ruth se dit qu'il s'agissait, maintenant, de son unique distraction. Et effectivement, depuis qu'elle se mit à parler de ce Jésus nazaréen si controversé, nous avons observé qu'Abigail était pleine de profondes consolations. Et le fait est que nous ne l'avons plus vue pleurer, même si la pénible expression d'amertume et de mélancolie ne quittait pas son visage abattu. Dès lors, sa conversation semblait avoir acquis des inspirations différentes. La douleur s'était transformée en une réconfortante expression de joie intime. Et elle parlait de toi avec un amour de plus en plus pur. Elle donnait l'impression d'avoir découvert dans les mystérieux replis de son âme, l'énergie d'une vie nouvelle.
Après un soupir, Zacarias finissait :
Mais malgré tout, ce changement n'a pas altéré la marche de la maladie qui la dévore lentement. Quotidiennement, nous la voyons aller vers la tombe comme un pétale de fleur est emporté par le souffle du vent fort.
Saûl ressentait une évidente angoisse. Une douloureuse émotion pénétrait son âme généreuse et sensible. Que dire ? Son esprit pliait sous le poids d'amères interrogations. Qui était, donc, ce Jésus à qui il se butait de toute part ? L'intérêt d'Abigail pour l'Évangile persécuté révélait la victoire du charpentier nazaréen qui contrastait avec les rêves de sa jeunesse.
Mais, Zacarias - a demandé le docteur de Tarse irrité -, pourquoi n'as-tu pas empêché un tel contact ? Ces vieux sorciers parcourent les routes semant la confusion. Cette condescendance me surprend puisque notre fidélité à la Loi ne l'admet pas, ou pour le moins n'admettra jamais de concessions.
L'interpellé reçut la récrimination avec sérénité et a souligné :
Avant tout, il convient de considérer que j'ai demandé en vain le secours de ta présence pour me guider. De plus, qui aurait le courage d'arracher le remède à une malade bien-aimée ? Depuis que j'ai constaté sa résignation sanctifiée, j'ai fait en sorte de ne pas me rapporter à ses nouveaux points de vue en matière de croyance religieuse.
Et comme si Saûl était plongé dans de profonds schismes, sans savoir quoi répondre, Zacarias conclut :
Viens avec moi, tu verras de tes propres yeux !...
Hésitant, le jeune homme a suivi ses pas. Des idées s'embrouillaient dans sa tête. Affligé, ces nouvelles inattendues empoisonnaient son cœur.
Allongée dans son lit, assistée par l'affection maternelle de Ruth, la jeune femme de Corinthe exprimait sur son visage un abattement profond. Très maigre, sa peau avait la couleur de l'ivoire, mais son regard lucide exhibait un calme spirituel absolu. Une affectueuse sérénité s'affichait sur sa figure attristée. De temps en temps, la dyspnée revenait avec des souffrances prolongées, elle se tournait alors vers la fenêtre ouverte, comme si elle espérait trouver le remède à sa fatigue dans les brises fraîches qui venaient du sein généreux de la nature.
À la voir, Saûl n'a pas dissimulé son étonnement. La jeune fille, à son tour, recevant son heureuse surprise, fut prise d'une joie sincère et débordante.
En guise de salut, ils ont échangé des sentiments affectueux tandis que leurs yeux traduisaient toute la nostalgie angoissante avec laquelle ils avaient attendu cet instant. Le futur rabbin caressait ses tendres mains qui semblaient maintenant formées d'une cire translucide. Ils ont parlé de l'espoir qu'ils avaient constamment nourri avant de se retrouver. Et remarquant qu'ils désiraient un peu d'intimité pour être plus à l'aise, Zacarias et Ruth se sont discrètement retirés.
Abigail ! - s'exclama Saûl profondément ému, dès qu'ils furent seuls - j'ai renoncé à mon orgueil et à ma vanité d'homme public pour venir jusqu'ici te demander si tu m'as pardonné et si tu ne m'as pas oublié !
T'oublier ? - lui a-t-elle répondu les yeux larmoyants. Aussi rude et longue que la saison du soleil ardent puisse être, la feuille du désert ne pourrait oublier la pluie bénéfique qui lui a donné vie. Et ne viens pas me parler de pardon non plus, car comment quelqu'un pourrait-il se pardonner lui-même ? Tu sais bien Saûl que c'est pour l'éternité que nous appartenons l'un à l'autre. Plusieurs fois, ne m'as-tu pas dit que j'étais le cœur de ton cerveau ?
Entendant le timbre caressant de cette voix aimée, le jeune de Tarse fut ému au plus profond de son être exalté et ardent. Cette humilité et ce ton de tendresse pénétraient son cœur, reconquérant son discernement pour aller vers le droit chemin.
Et tenant, entre les siennes, les mains pâles de sa fiancée, il s'exclama avec une étincelle de joie dans les yeux :
Pourquoi dis-tu que « tu étais le cœur », puisque tu l'es encore et le seras toujours ? Dieu bénira nos espoirs. Nous réaliserons notre idéal. Je suis là aujourd'hui pour t'emporter avec moi. Nous aurons un foyer, tu en seras la reine !...