L’ Si tu veux que ce soir, à l’âtre je t’accueille,Jette d’abord la fleur, qui de ta main s’effeuille,Son cher parfum ferait ma tristesse trop sombre;Et ne regarde pas derrière toi vers l’ombre,Car je te veux, ayant oublié la forêtEt le vent, et l’écho et ce qui parleraitVoix à ta solitude ou pleurs à ton silence!Et debout, avec ton ombre qui te devance,Et hautaine sur mon seuil, et pâle, et vénueComme si j’étais mort ou que tu fusses nue!(Henri de Régnier: «Les jeux rustiques et divins».)223
V
«Oiseau bleu couleur du tempe».
Sais-tu l’oubliD’un vain doux rêve,Oiseau moqueurDe la forêt?Le jour pâlit,La nuit se lève,Et dans mon cœurL'ombre a pleuré;O, chante-moiTa folle gamme,Car j’ai dormiCe jour durant;Le lâche émoiOù fut mon âmeSanglote emmiLe jour mourant.Sais-tu le chantDe sa paroleEt de sa voix,Toi qui redisDans le couchantTon air frivoleComme autrefois,Sous les midis?O, chante alorsLa mélodieDe son amour,Mon fol espoir,Parmi les orsEt l'incendieDu vain doux jourQui meurt ce soir.(Francis Vielé-Griffin: «Poèmes et poésies».)224
IX
Énone, j’avais cru qu’en aimant ta beautéOù l’âme avec le corps trouvent leur unité,J’allais, m’affermissant et le coeur et l’esprit,Monter jusqu’à cela, qui jamais ne périt,N’ayant été créé, qui n’est froidure ou feu,Qui n’est beau quelque part et laid en autre lieu;Et me flattais encore d’une belle harmonie,Que j’eusse composé du meilleur et du pire,Ainsi que le chanteur que chérit Polymnie,En accordant le grave avec l’aigu, retireUn son bien élevé sur les nerfs de sa lyre.Mais mon courage, hélas! se pâmant comme mort,M’enseigna que le trait qui m’avait fait amantNe fut pas de cet arc que courbe sans effortLa Vénus qui naquit du mâle seulement,Mais que j’avais souffert cette Vénus dernièreQui a le coeur couard, né d’une faible mère.Et pourtant, ce mauvais garçon, chasseur habile,Qui charge son carquois de sagesse subtile,Qui secoue en riant sa torche, pour un jour,Qui ne pose jamais que sur de tendres fleurs,C’est sur un teint charmant qu’il essuie les pleurs,Et c’est encore un Dieu, Énone, cet Amour.Mais, laisse, les oiseaux du printemps sont partis,Et je vois les rayons du soleil amortis.Énone, ma douleur, harmonieux visage,Superbe humilité, doux-honnête langage,Hier me remirant dans cet étang glacéQui au bout du jardin se couvre de feuillage,Sur ma face je vis que les jours ont passé.(Jean Moréas: «Le Pélerin Passionné».)225