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Графиня Маццукелли, с которой познакомился Шкарван во время своего пребывания под арестом и о которой он рассказывал в своем письме к Толстому.* 226. Г. Ф. Ван Дейлю (G. F. Van Duyl).
Cher monsieur, j’ai reçu votre première lettre. J’avais l’intention d’y répondre, mais différentes petites circonstances m’en ont empeché jusqu’à ce jour. Hier j’ai reçu votre seconde lettre et je m’empresse de répondre. Les lettres comme la vôtre, qui me prouvent que les idées qui non seulement me sont chères, mais forment une partie de mon être, produisent les mêmes sentiments dans le coeur des autres, — sont la plus grande joie de ma vie.
La difficulté que vous avez rencontrée dans la réponse du jeune homme qui voudrait suivre les exigences de sa conscience et en même temps sent l’impossibilité d’abandonner et d’affliger sa mère, est une difficulté que je connais et à laquelle il m’est arrivé de répondre plusieurs fois. La doctrine chrétienne n’est pas une doctrine qu’exige certaines actions, l’observance ou bien l’abstinence de certaines actions; la doctrine chrétienne n’exige rien de ceux qui veulent la suivre, elle ne consiste que, comme le dit le mot «évangile», dans la connaissance du vrai bien de l’homme. Une fois que l’homme a compris et s’est pénétré de l’idée que son véritable bien, le bien de sa vie éternelle, celle qui ne se borne pas à ce monde, consiste dans l’accomplissement de la volonté de Dieu et que commettre un meurtre ou bien se préparer au meurtre, comme le font les militaires, est contraire à cette volonté, aucune considération ne pourra obliger cet homme à agir contrairement à son véritable bien. S’il y a lutte intérieure et si, comme c’est dans le cas dont vous parlez, les considérations de famille obtiennent le dessus, ce n’est qu’une preuve de ce que la doctrine chrétienne véritable n’est pas comprise et acceptée par celui qui ne peut pas la suivre, ce n’est qu’une preuve de ce que l’individu voudrait paraître chrétien, mais ne l’est pas.
Et c’est pourquoi je trouve qu’il est inutile et même souvent nuisible de prêcher certaines actions ou abstinence d’actions, comme le réfus au service militaire et autres actions de ce genre. Il faut que toutes ces actions proviennent non pas du désir de suivre certains préceptes, mais d’une complète impossibilité d’agir autrement. Aussi quand je me trouve dans la position dans laquelle vous vous êtes trouvé vis-à-vis de ce jeune homme, je conseille toujours de faire tout ce qu’on exige d’eux, d’entrer au service, de servir, de prêter serment etc., — si cela est leur moralement possible, de ne s’abstenir de rien, à moins que cela ne devient tout aussi impossible moralement, comme il est imposible à un homme d’enlever une montagne ou de se soulever dans les airs. Je leur dis toujours: si vous voulez refuser le service militaire et supporter toutes les suites de ce refus, tâchez d’arriver à un tel degré de certitude et de clarté de la vérité chrétienne, qu’il vous devienne tout aussi impossible de prêter serment et de manoeuvrer avec un fusil, comme il vous est impossible d’égorger un enfant ou autre chose pareille. Mais si cela vous est possible — faites-le, car il vaut mieux fournir un soldat, qu’un hypocrite de plus, ou bien un renégat de la doctrine, ce qui arrive à ceux qui entreprennent des actions audessus de leurs forces. C’est pourquoi je suis convaincu, que la vérité chrétienne ne peut pas se propager par la prédication de certaines actions extérieures, comme cela se fait dans les religions quasi-chrétiennes, mais seulement par la destruction, la démonstration des tentations et des impostures et surtout par la conviction de ce que le vrai et l’unique bien de l’homme consiste dans l’accomplissement de la volonté de Dieu, qui n’est autre que la loi de la destination de l’homme.
Dans le moment ou je vous écrit il y a deux jeunes gens1
de mes amis qui sont enfermés l’un dans une prison, l’autre dans une maison de fous, pour avoir refusé le service militaire. L’un d’eux — un jeune peintre — est à Moscou. Eh bien, je tâche de l’influencer aussi peu que possible dans son refus, car je sais que pour supporter toutes les epreuves qu’il aura à subir, il lui faut la force qui ne peut pas venir d’en dehors, mais la ferme conviction que sa vie n’a pas d’autre sens que l’accomplissement de la volonté de celui qui l’y a envoyé. Et cette conviction se forme intérieurement. Je puis l’aider à la former, mais je ne puis pas la lui donner. Je crains surtout de lui faire croire qu’il a cette conviction, quand il ne l’a pas. J’ai de la difficulté de m’exprimer en français, mais j’espère que vous comprendrez mon idée, d’autant plus que je crois l’avoir exprimé dans mes écrits, qui sont traduits.