Mais peut-être que votre ami, Madame, a des raisons de ne point passer les bornes de la sagesse humaine, et comme il a l’esprit fort délicat, il pourra même croire qu’il y a de l’orgueil ou de l’intérêt secret en mon avis, et quelque protestation que je lui puisse faire du contraire, il n’est pas obligé de me croire. Il vaut donc mieux, Madame, que vous ne lui en parliez point du tout, s’il vous plaît, et que vous lui disiez seulement que, quand il n’y aurait que son écrit au monde avec Évangile, je voudrais être chrétien. L’un m’apprendrait à connaître mes misères, et l’autre à implorer mon libérateur; ce sont les deux premiers degrés de la vie spirituelle et quand on les franchit comme il faut, on n’en demeure pas là ordinairement; les bonnes œuvres suivent et l’on fait profit de tout, des péchés même et des fautes qu’on a commises, qu’on commet, et des ignorances, erreurs et faiblesses naturelles et involontaires, auxquelles sont sujet tous les hommes de ce monde et même ceux qui sont les plus établis dans les vertus essentielles.
Que si cette pièce ne s’imprime pas, je vous prie très humblement, Madame, de m’en faire avoir une copie.
36. Lettre, d’auteur inconnu, à Mme de Sablé, 1663.
J’appellerais volontiers l’auteur de ces maximes un orateur éloquent et un philosophe plus critique que savant; aussi n’a-t-il autre principe de ses sentiments que la fécondité de son imagination. Il affecte dans ses divisions et dans ses définitions, subtilement mais sans fondement inventées, de passer pour un Sénèque, ne prenant pas garde néanmoins que celui-ci, dans sa morale, tout païen qu’il était, ne s’est jamais jeté dans cette extrémité que de confondre toutes les vertus des sages de son temps, ni de les faire passer pour des vices; il a cru qu’il y en avait de tempérants et de dissolus, de bons et de mauvais, d’humbles et de superbes, et il n’a jamais dit qu’on pût, sous une véritable humilité, cacher une superbe insolente: elles sont trop antipathiques pour pouvoir habiter la même demeure. Je lui donnerais néanmoins cette louange que de savoir puissamment invectiver, et d’avoir parfaitement bien rencontré où il s’est agi de mériter le titre de satirique. C’est à contrecœur que je loue de la sorte son ouvrage tout à fait spirituel, et peut-être pourra-t-on dire que je tombe dans le même défaut dont je l’accuse; mais certes, considérant que par ces maximes il n’y a aucune vertu chrétienne, si solide qu’elle soit, qui ne puisse être censurée, content du désavantage d’en être dépourvu, j’aime mieux ne passer pas pour complaisant en approuvant sa doctrine, que d’être dans un perpétuel danger de déclamer contre les belles qualités, ni médire des plus vertueux.
37. Lettre de Mme de La Fayette à Mme de Sablé. 1663.
Ce jeudi au soir.
Voilà un billet que je vous supplie de vouloir lire, il vous instruira de ce que l’on demande de vous. Je n’ai rien à y ajouter, sinon que l’homme qu’il l’écrit [sic] est un des hommes du monde que j’aime autant, et qu’ainsi c’est une des plus grandes obligations que je vous puisse avoir, que de lui accorder ce qu’il souhaite pour son ami. Je viens d’arriver de Fresnes, où j’ai été deux jours en solitude avec Madame du Plessis; en ces deux jours-là nous avons parlé de vous deux ou trois mille fois; il est inutile de vous dire comment nous en avons parlé, vous le devinez aisément. Nous y avons lu les maximes de M. de La Rochefoucauld. Ha, Madame! quelle corruption il faut avoir dans l’esprit et dans le cœur pour être capable d’imaginer tout cela! J’en suis si épouvantée que je vous assure que, si les plaisanteries étaient des choses sérieuses, de telles maximes gâteraient plus ses affaires que tous les potages qu’il mangea l’autre jour chez vous.
38. Lettre de Mme de La Fayette à Mme de Sablé. 1663.
Vous me donneriez le plus grand chagrin du monde, si vous ne me montriez pas vos maximes. Mme du Plessis m’a donné une curiosité étrange de les voir, et c’est justement parce qu’elles sont honnêtes et raisonnables que j’en ai envie, et qu’elles me persuaderont que toutes les personnes de bon sens ne sont pas si persuadées de la corruption générale que l’est M. de La Rochefoucauld. Je vous rends mille et mille grâces de ce que vous avez fait pour ce gentilhomme. Je vous en irai encore remercier moi-même, et je me servirai toujours avec plaisir des prétextes que je trouverai pour avoir l’honneur de vous voir; et si vous trouviez autant de plaisir avec moi que j’en trouve avec vous, je troublerais souvent votre solitude.
III. Lettres concernant la publication de la Ière édition des maximes
39. Lettre de La Rochefoucauld au Père Thomas Esprit. 6 février 1664.
6 février.