L'imitation est toujours malheureuse, et tout ce qui est contrefait déplaît avec les mêmes choses qui charment lorsqu'elles sont naturelles.
CCXLVI
Quelque prétexte que nous donnions à nos afflictions, ce n'est que l'intérêt et la vanité qui les causent.
CCXLVII
Il y a une espèce d'hypocrisie dans les afflictions, car sous prétexte de pleurer la perte d'une personne qui nous est chère nous nous pleurons nous-mêmes; nous pleurons la diminution de notre bien, de notre plaisir, de notre considération, en la personne que nous pleurons. De cette manière les morts ont l'honneur des larmes qui ne coulent que pour ceux qui les versent. J'ai dit que c'était une espèce d'hypocrisie, parce que, par elle, l'homme se trompe seulement soi-même. Il y en a une autre qui n'est pas si innocente, et qui impose à tout le monde: c'est l'affliction de certaines personnes qui aspirent à la gloire d'une belle et immortelle douleur, car le temps, qui consume tout, l'ayant consumée, elles ne laissent pas d'opiniâtrer leurs pleurs, leurs plaintes, et leurs soupirs; elles prennent un personnage lugubre, et travaillent à persuader par toutes leurs actions qu'elles égaleront la durée de tous leurs déplaisirs à leur propre vie. Cette triste et fatigante vanité se trouve d'ordinaire dans les femmes ambitieuses, parce que, leur sexe leur fermant tous les chemins qui mènent à la gloire, elles se jettent dans celui-ci, et s'efforcent à se rendre célèbres par la montre d'une inconsolable douleur. Il y a encore une autre espèce de larmes qui n'ont que de petites sources, qui coulent facilement et qui s'écoulent aussitôt: on pleure pour avoir la réputation d'être tendre, on pleure pour être plaint, ou pour être pleuré, et on pleure quelquefois de honte de ne pleurer pas.
CCXLVIII
Nous ne regrettons pas la perte de nos amis selon leur mérite, mais selon nos besoins et selon l'opinion que nous croyons leur avoir donnée de ce que nous valons.
CCXLIX
Nous ne sommes pas difficiles à consoler des disgrâces de nos amis lorsqu'elles servent à signaler la tendresse que nous avons pour eux.
CCL
Qui considérera superficiellement tous les effets de la bonté qui nous fait sortir hors de nous-mêmes, et qui nous immole continuellement à l'avantage de tout le monde, sera tenté de croire que lorsqu'elle agit, l'amour-propre s'oublie et s'abandonne lui-même, ou se laisse dépouiller et appauvrir sans s'en apercevoir, de sorte qu'il semble que l'amour-propre soit la dupe de la bonté. Cependant c'est le plus utile de tous les moyens dont l'amour-propre se sert pour arriver à ses fins; c'est un chemin dérobé, par où il revient à lui-même, plus riche et plus abondant; c'est un désintéressement qu'il met à un furieuse usure; c'est enfin un ressort délicat avec lequel il réunit, il dispose et tourne tous les hommes en sa faveur.
CCLI
Nul ne mérite d'être loué de bonté s'il n'a la force, et la hardiesse, d'être méchant toute autre bonté n'est le plus souvent qu'une paresse ou une impuissance de la mauvaise volonté.
CCLII
Il est bien malaisé de distinguer la bonté générale, et répandue sur tout le monde, de la grande habileté.
CCLIII
Il n'est pas si dangereux de faire du mal à la plupart des hommes que de leur faire trop de bien.
CCLIV
Pour pouvoir être toujours bon, il faut que les autres croient qu'ils ne peuvent jamais nous être impunément méchants.
CCLV
Rien ne nous plaît tant que la confiance des grands, et des personnes considérables par leurs emplois, par leurs esprits, ou par leur mérite; elle nous fait sentir un plaisir exquis et élève merveilleusement notre orgueil parce que nous le regardons comme un effet de notre fidélité; cependant, nous serions remplis de confusion si nous considérions l'imperfection et la bassesse de sa naissance, car elle vient de la vanité, de l'envie de parler, et de l'impuissance de retenir le secret: de sorte qu'on peut dire que la confiance est comme un relâchement de l'âme causé par le nombre et par le poids des choses dont elle est pleine.
CCLVI
La confiance de plaire est souvent un moyen de déplaire infailliblement.
CCLVII
Nous ne croyons pas aisément ce qui est au-delà de ce que nous voyons.
CCLVIII
La confiance que l'on a en soi fait naître la plus grande partie de celle que l'on a aux autres.
CCLIX
Ier état – La sobriété est l'amour de la santé, ou l'impuissance de manger beaucoup.
2e état – Il y a une révolution générale qui change le goût des esprits, aussi bien que les fortunes du monde.
CCLX
La vérité est le fondement et la raison de la perfection, et de la beauté; une chose, de quelque nature qu'elle soit, ne saurait être belle, et parfaite, si elle n'est véritablement tout ce qu'elle doit être, et si elle n'a tout ce qu'elle doit avoir.
CCLXI
On peut dire de l'agrément séparé de la beauté que c'est une symétrie dont on ne sait point les règles, et un rapport secret des traits ensemble, et des traits avec les couleurs et avec l'air de la personne.
CCLXII