[48] Comme la finesse est l'effet d'un petit esprit, il arrive quasi toujours que celui qui s'en sert pour se couvrir en un endroit se découvre en un autre (max. 125, I 127).
[49] Rien ne nous plaît tant que la confiance des grands et des personnes considérables par leurs emplois, par leur esprit ou par leur mérite; elle nous fait sentir un plaisir exquis et élève merveilleusement notre orgueil parce que nous la regardons comme un effet de notre fidélité; cependant nous serons remplis de confusion si nous considérons l'imperfection et la bassesse de sa naissance, car elle vient de la vanité, de l'envie de parler et de l'impuissance de retenir les secrets, de sorte qu'on peut dire que la confiance est comme un relâchement de l'âme causé par le nombre et par le poids des choses dont elle est pleine (max. 239, I 255).
[50] Nous ne nous apercevons que des emportements et des mouvements extraordinaires de nos humeurs, comme de la violence, de la colère, etc., mais personne quasi ne s'aperçoit que ces humeurs ont un cours ordinaire et réglé qui meut et tourne doucement et imperceptiblement notre volonté à des actions différentes; elles roulent ensemble, s'il faut ainsi dire, et exercent successivement leur empire, de sorte qu'elles ont une part considérable à toutes nos actions, dont nous croyons être les seuls auteurs (max. 297, I 48).
[51] La pitié est un sentiment de nos propre maux dans un sujet étranger; c'est une prévoyance habile des malheurs où nous pouvons tomber, qui nous fait donner des secours aux autres pour les engager à nous les rendre dans de semblables occasions, de sorte que les services que nous rendons à ceux qui sont accueillis de quelque infortune sont à proprement parler des biens anticipés que nous nous faisons (max. 264, I 287).
[52] Qui considérera superficiellement tous les effets de la bonté qui nous fait sortir de nous-mêmes, et qui nous immole continuellement à l'avantage de tout le monde, sera tenté de croire que, lorsqu'elle agit, l'amour-propre s'oublie et s'abandonne lui-même, et même qu'il se laisse dépouiller et appauvrir sans s'en apercevoir, en sorte qu'il semble que la bonté soit la niaiserie et l'innocence de l'amour-propre. Cependant la bonté est en effet le plus prompt de tous les moyens dont l'amour-propre se sert pour arriver à ses fins; c'est un chemin dérobé par où il revient à lui-même plus riche et plus abondant; c'est un désintéressement qu'il met à une furieuse usure, c'est enfin un ressort délicat avec lequel il remue, il dispose et tourne tous les hommes en sa faveur (max. 236, I 250).
[53] L'humilité est une feinte soumission que nous employons pour soumettre effectivement tout le monde; c'est un mouvement de l'orgueil par lequel il s'abaisse devant les hommes pour s'élever sur eux; c'est son plus grand déguisement, et son premier stratagème; certes, comme il est sans doute que le Protée des fables n'a jamais été, il est un véritable dans la nature, car il prend toutes les formes comme il lui plaît; mais, quoiqu'il soit merveilleux et agréable à voir sur toutes ses figures et dans toutes ses industries, il faut pourtant avouer qu'il n'est jamais si rare ni si plaisant que lorsqu'on le voit sous la forme et sous l'habit de l'humilité; car alors on le voit les yeux baissés, sa contenance est modeste et reposée, ses paroles douces et respectueuses, pleines de l'estime des autres et de dédain pour lui-même; il est indigne de tous les honneurs, il est incapable d'aucun emploi, et ne reçoit les charges où on l'élève que comme un effet de la bonté des hommes et de la faveur aveugle de la fortune (max. 254, I 277).