Читаем С.Д.П. Из истории литературного быта пушкинской поры полностью

Lundi, 6 Juin, `a 7 heures du matin.

La journ 'ee d’hier m’a tout `a f’ait reconcili'e avec elle. Je l’ai cru passer bien autrement, cette journ'ee, et je suis enchant'e que le proverbe: Homo pro-ponit, Deus disponit avait servi cette fois `a mon avantage. A midi j’allais chez Gretsch `a la campagne; je l’ai rencontr'e au quai de Petersbourg, nous avons caus'e un peu ensemble et puis nous nous sommes s'epar'es. Comme l’heure du d^iner 'etait encore tr`es 'eloign'ee et que j’'etais d'ej`a dehors, par cons'equent ne voulant pas rentrer avant d’avoir faire quelque chose, me voil`a qui me d'ecide d’aller voir Mme. Je trottais d'ej`a sur le pont de Wibourg, clopin-clopant com-me je le pouvais `a cause des bottes qui me torturaient les pieds, lorsque j’ap-perois Mr. Wo"ieikoff qui courait en droschki `a deux places; je le salue, il s’arr^ete, m’invite `a prendre place dans son droschki, et quoique je serais bien content de m’excuser l`a-dessus, je n’ai pas voulu faire des grimaces, j’accepte donc son offre obligeant d’aller bonne gr^ace et nous voil`a `a converser et sur le mauvais temps, et sur l’intempestibilit'e du climat de St. Petersbourg, et sur la fum'ee de Londres, et sur les 93 marches de l’escalier de Gretsch, et sur la ma-ladie de Madame Wo"ieikoff, et sur les talents et l’amabilit'e de Mr Noroff. Bref, nous avons fait le caquet bon-bec depuis le pont jusqu’`a l’Acad'emie de la medicine et chirurgie. L`a je l’ai pri'e de faire arr^eter la voiture, disant que j’avais une visite `a faire `a l’acad'emie. Nous nous somm'es dits force compliments et j’ai 'et'e tr`es charm'e d’avoir 'eluder une conversation plus longue.

Je viens chez Madame, j ’y trouve Yakowleff et Kouschinnikoff qui arrive un moment apr`es. Madame me recoit d’abord assez s`echement; elle veut re-tenir Yakoveff qui s’'evade. On s’arrange `a faire un tour de promenade avec Mme Goffard et les enfants, elle y va en effet. Je l’atteins et la plaisante sur ce qu’elle a l’air d’une ma^itresse de pension, elle retourne `a la maison. Nous d'ejeunons, nous parlons, et tout d’un coup elle me fait cadeau d’un mouchoir pour porter en chemise sous le gilet. Nous nous mettons de nouveau en marche pour aller `a la campagne o`u demeurent les enfants de Mme Goffard; notre suite est compos'ee de Mr Ponomareff, Madame, M. Kouschinnikoff, Mme Goffard, Alexandrine et moi. Madame me donne le bras, nous arrivons en face de la campagne de Mr Dournoff et prenons un bateau qui nous transporte jusqu’`a la campagne Bezborodko; nous passons par le jardin. Madame me donnait tou-jours le bras pour la mener; au bout du jardin nous trouvons un pont couvert `a demi 'ecroul'e et qui n’a pour tout plancher que deux poutres touchant le milieu du pont couvert. Je m`ene Madame avec toutes les pr'ecautions et sollicitude possibles; Hector reste au milieu du pont, n’osant point passer; elle l’appelle, il jappe et reste ind'ecis. Je me pr'ecipite sur la poutre, je prends le chien sur mes bras, tout crott'e qu’il 'etait et je le porte sur l’autre bord, ce qui m’a valu des expressions tr`es aimables, m^eme tendres de la part de Madame. Какая милая попинька: qui aurait fait comme lui.

Ces peu de mots m’ont tout `a fait cap-tiv'e et m’ont de nouveau soumis sous ses lois; je ne me sentais pas de joie; je jurais int'erieurement d’^etre toujours `a elle. Dans ce moment-ci elle m’a paru plus belle que jamais, et si je l’avais pu je l’aurais 'etouff'e de mes baisers: m^eme j’aurais embrass'e mille et mille fois son chien; mais j’ai craint de la compromettre devant les jeux de tant de t'emoins. Ce son de voix lorsqu’elle dit quelque chose d’aimable, d’obligeant, p'en`etre dans mon coeur et y attire une nouvelle flamme, je suis alors aux anges et si confus, si heureux, que je ne sais que r'epondre: les phrases me manquent avec la respiration, je me p^ame d’aise. Non! jamais je n’ai 'et'e aussi amoureux, j’'etais plus jeune et les sensations n’'etaient pas encore aussi profondes, aussi d'ecid'ees.

Le reste de la journ 'ee s’est pass'ee assez agr'eablement pour moi. Apr`es diner nous sommes all'es en bateau `a Krestowsky; l`a je me suis absent'e pour quelques minutes; je les rejoins d'ej`a sur le bateau et j’inventais des excuses et des incidents. Elle m’a pourtant grond'e avec assez d’amertume: Toujours nous faites de ces farces; c’est joli!

Le malheur est qu’elle s’est mouill'ee les pieds; moi qui les avais aussi mouill'es jusqu’aux genoux, je me taisais. Elle se plaig-nait du froid sur le bateau, et je craignais pour elle. Arriv'ee `a la maison, elle se fait frotter les pieds, `a nos instances r'eit'er'ees, avec du rhum et s’est couch'ee ensuite. Elle a voulu retenir de force Mme Goffard, Kouschinnikoff et moi, pour passer la nuit `a la campagne; mais ensuite elle a consentie `a nous laisser partir. Je me suis approch'e d’elle pour prendre cong'e… D'elay'e j’ai vu encore ce beau sein qui fait mon martyre, je fais des efforts pour ne pas me trahir, je ne me poss`ede presque plus. J’imprime un baiser sur sa main et je m’arrache de cette ^ile de Calypso.

J’ai oubli'e de noter qu’elle m’a grond'e pour je ne sais quelles pr'eten-tions lorsque je lui ai demand'e le pardon pour je ne sais quelles fautes. Ensui-te elle s’est radoucie, elle m’a marqu'e du regret de ce que je ne lui 'ecrivais plus, je lui ai renouvell'e la pri`ere de me permettre de lui 'ecrire, ce que m’a 'et'e accord'e.

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