— Elle est drôlement gironde, conviens-je. Je comprends qu’elle t’ait flanqué des vapeurs. À ton âge, tu devrais plutôt t’abonner à
— Qu’est-ce que tu racontes ? Lis le troisième titre !
Je sursaute.
— Sans charre ! murmuré-je, t’as décroché la timbale, Pinuche ? Toi, dont l’air glandulard et la vue basse sont réputés dans le monde entier et ses satellites ! T’es sûr que c’est de ton Pinaud à toi qu’il s’agit ?
Comme si le destin n’attendait que mon exclamation pour ratifier la chose, le bigophone se manifeste. Je décroche. Il s’agit de Mme Pinaud, dans tous ses états, comme aurait dit Charles Quint, qui réclame son jules,
— Il va y aller ! promets-je.
Mais avant de renvoyer cet excédent d’humanité à son gros lot, je le questionne.
— Qu’est-ce que c’était, ce concours, vieille noix ?
— Fallait trouver un slogan, dit-il.
— Sur quoi ?
— Pour le lancement d’une marque de nouilles !
— Évidemment, t’es de la partie… Et qu’as-tu trouvé ?
— Je me rappelle plus, j’étais un peu beurré le soir que j’ai envoyé mon slogan, il doit être marqué, non ?
Ça l’est, en effet, et en caractères énormes encore. Voici le texte primé, dans toute sa sobriété valéryenne :
— Pas mal, conviens-je, tu peux canner, vieillard, tu as laissé désormais ton message. Et quelle leçon pour les générations futures ! Tu es né nouille, tu as vécu nouille et c’est par la nouille que tu passes à la postérité !
— Une maison, bredouille-t-il. Une maison à moi !
Je reprends le baveux :
Nous plongeons sur la page 3, ce qui nous vaut une bosse à chacun. Le lot est là, encadré. C’est une coquette maisonnette style normand, sise à Magny-en-Vexin. La description annonce une pièce de séjour, deux chambres, une cuisine, un garage et un jardin de vingt-cinq mètres carrés. Pinaud se remet à croire au Père Noël.
C’est par ce petit événement en marge de nos activités professionnelles que démarre cette fois-ci l’aventure. Une aventure vraiment extraordinaire, vous pourrez en juger par la suite si vous avez la patience de poursuivre. Une aventure comme, à dire vrai, il ne m’en était encore jamais arrivé.
Mordez une fois de plus l’inconscience du hasard. Pinaud rentre chez lui un soir en ayant forcé sur le brouilly. Il lit l’annonce d’un concours. Il a l’idée de sa vie. Il la poste pour la modique somme de vingt-cinq francs et, en échange, on lui cloque une maison de campagne ! Y a de quoi se faire inscrire aux prochains championnats de ski à Tahiti, non ?
Huit jours plus tard, un soir très exactement, nous sommes devant notre poste de télé, Félicie, ma brave femme de mère, et moi-même, en train de savourer l’émission « Les bonnes lectures ». M. Pierre Dumarteau, l’animateur, se fait expliquer par un futur ancien auteur à insuccès pourquoi le Régis de son dernier roman regarde les jambes de la bonne du dessus. Et le romancier, au lieu de dire que son héros matait les guitares de la môme, tout bêtement parce qu’elles étaient bien fichues, explique que Régis obéit à une impulsion délibérée car c’est un égocentrique à changement de vitesse dont les réflexes conditionnés découlent d’une hérédité bivalente et que ce ne sont pas les jambes de la soubrette en elles-mêmes qui l’attirent, mais les poils follets qui les recouvrent et qui lui rappellent irrésistiblement les moustaches de sa nourrice.
M. Dumarteau déclare que c’est bien ainsi qu’il avait compris l’affaire et il demande à l’écrivain si, dans son esprit, les poils en question sont blonds ou bruns. L’interviewé répond qu’ils sont châtains. Ce n’est pas non plus pour surprendre M. Dumarteau lequel cite une phrase de la page 28 : « Elle avait toujours aimé les marrons glacés. » Il demande à l’auteur si, dans son subconscient, cette allusion aux marrons n’est pas une transposition de châtaigne d’où dérive le mot châtain. Et le romancier rougit en se voyant démasqué jusque dans ses plus arrière-pensées !
Bref, nous en sommes là de cette passionnante joute lorsque le bignou vient rompre le charme.
C’est Mme Pinaud qui nous invite à pendre la crémaillère dans leur propriété du Vexin, dimanche prochain. Je tente d’expliquer que ce jour-là il y a France-Écosse à Colombes, mais elle insiste et j’accepte l’aimable invitation.
Je vous le dis, mes petits amours, quand le destin vous appelle, fût-ce par la bouche de la mère Pinaud, vous devez lui répondre présent !
CHAPITRE II
Dans lequel Félicie emporte un petit paquet et moi un gros colis