Sans plus parler, tous quatre s'activèrent. Gauthier, dépouillé de ses haillons, fut lavé, rhabillé de vêtements rustiques mais propres et solides, trop courts évidemment car aucun des trois hommes n'avait ses dimensions. La plaie qu'il portait à la tête et que l'on eut bien du mal à nettoyer approximativement tant le sang et les cheveux y avaient formé une croûte épaisse fut enduite, faute de mieux, de graisse de mouton. On lui coupa les cheveux, on le rasa pour le rendre tout à fait méconnaissable. Il se laissait faire comme un enfant, poussant seulement de temps en temps de courtes plaintes. Mais il avala avec avidité la soupe chaude, reste de la veille, et le pot de vin que lui offrit Hans. Josse, l'air songeur, le regardait boire.
— Il faudrait qu'il boive encore et encore, remar- qua-t-il. S'il pouvait dormir quand il sera dans le chariot, ce serait moins dangereux. Imaginez, que les hommes de garde l'entendent pousser ces plaintes inarticulées ?
— Inutile de l'enivrer, dit Hans. J'ai des graines de pavot pour calmer les douleurs de mes ouvriers quand ils se blessent au travail. Je lui en ferai prendre tout à l'heure, écrasées dans un peu de vin. Il dormira comme un enfant
Lorsqu'ils eurent fini de donner leurs soins à Gauthier, une bande blanche s'était dessinée à l'horizon et repoussait la nuit. Un peu partout, les voix enrouées des coqs se répondaient. Hans jeta vers le ciel un regard soucieux.
— Préparons le chariot, maintenant, dit-il. Urraca ne va pas tarder à descendre de son galetas.
Il fit rapidement avaler à Gauthier le vin drogué, puis, l'enveloppant d'une bâche, il le porta dans le grossier chariot qui dormait dans la remise attenante à la maison. Puis, aidé de Josse et de Hatto, il commença à y transporter des blocs de pierre qu'il disposa habilement dans la voiture de manière que le Normand fût caché par eux sans risques d'être blessé. De la paille fut placée dans les interstices.
Il était temps. Gauthier venait de disparaître derrière son rempart improvisé quand la maisonnée s'éveilla. La vieille Urraca, ses yeux de chouette gros de sommeil, descendit péniblement l'espèce d'échelle qui menait à l'étage supérieur et commença à traîner ses savates entre la cour et la cuisine, tirant de l'eau au puits, cherchant du bois au bûcher, soufflant sur les braises qu'elle avait, la veille au soir, soigneusement recouvertes de cendres avant d'aller au lit. Bientôt l'eau commença à chantonner dans le chaudron tandis que la vieille taillait, avec un couteau long à faire frémir, d'épaisses tranches de pain noir qu'elle disposait sur la table avec des oignons décrochés de la maîtresse poutre. Un à un, bâillant et s'étirant, les hommes de la pierre sortaient de leur dortoir, allaient s'ébrouer dans un seau d'eau froide, puis revenaient chercher leur nourriture. Catherine, bâillant et s'étirant comme les autres, avait repris sa place au coin de l'âtre non sans raison. L'aube était glaciale et elle se sentait gelée. Quant à Josse, affectant les manières d'un homme qui s'éveille à grand-peine, il sortit et s'en alla faire un tour sur la place. Il voulait voir ce que donnait le nouvel occupant de la cage à la lumière du jour. Hans le suivit des yeux, avec un sentiment d'inquiétude, mais se rassura bientôt. Le clignement de paupières et le claquement de langue que lui adressa Josse étaient pleinement satisfaisants. Il se tourna donc vers ses ouvriers et commença à les haranguer dans leur langue maternelle.
Catherine saisit au passage les mots de « Las Huelgas » et comprit que le maître d'œuvre leur annonçait qu'il allait se rendre pour la journée au célèbre monastère. Les Allemands hochaient la tête d'un air approbateur. Aucun ne fit entendre sa voix. L'un après l'autre, après un bref salut en direction de la jeune femme, ils sortirent dans le soleil levant et, le dos rond, déjà offert à la fatigue de la journée de travail, ils se dirigèrent vers leur chantier. Hans adressa un sourire à Catherine.
— Mangez vite quelque chose et mettons-nous en route. Les portes s'ouvrent.
On entendit, en effet, grincer la herse de la porte Santa Maria toute proche tandis que les bruits de voix, les cris et les appels coutumiers commençaient d'animer la place. Hans se tourna vers la porte.
— Où est Josse ? demanda-t-il. Toujours sur la place ?
— Je crois... oui !
— Je vais le chercher.