Читаем Сatherine et le temps d'aimer полностью

cliente, Fatima s'arrêta et la considéra un instant d'un air perplexe tout en essuyant machinalement ses mains huileuses au pagne de coton qui drapait ses hanches. La jeune femme avait laissé tomber sa tête dans ses bras pour cacher les larmes qui montaient. Soudain, un lent sourire vint éclairer la face lunaire de la négresse. Il lui sembla qu'elle comprenait la raison du subit désespoir de sa patiente... Elle se pencha sur le corps étendu après s'être assurée que personne ne pouvait l'entendre.

— Je devine pourquoi tu te désoles, Lumière de l'Aurore, il t'est pénible d'évoquer le bel amant de Zobeïda alors que tu es seulement destinée à recevoir les caresses d'un homme débile et déjà âgé. Et, selon moi, tu as raison car ta beauté mérite meilleur destin que le lit d'un médecin... Mais console-toi, ma belle, il se peut que tu trouves mieux...

Catherine releva un visage rougi et marbré de larmes.

— Que veux-tu dire ?

— Rien. Je m'entends ! Il est trop tôt pour parler de ça ! Regarde dans quel état tu as mis ton visage, petite sotte ! Laisse-moi faire...

Quand venait la nuit, les terrasses des maisons de Grenade se transformaient en d'étranges jardins vaporeux. Toutes les femmes, dans leurs voiles tendres ou foncés, scintillants de paillettes ou atténuant l'éclat des gemmes à moins qu'ils n'aient d'autre richesse que leur fraîcheur, se réunissaient sur leurs toits respectifs pour respirer la douceur de l'air du soir, manger des sucreries ou échanger des potins d'une terrasse à l'antre. Et il n'était pas jusqu'à la plus modeste servante qui n'eût permission d'aller, elle aussi, prendre le frais. Les hommes, eux, préféraient se rendre sur les places pour parler, écouter les conteurs ou admirer les tours des baladins, à moins que la secte musulmane à laquelle ils appartenaient ne leur permît de fréquenter l'un de ces cabarets en plein air, installés souvent dans des jardins où ils pouvaient se réjouir, boire du vin et regarder évoluer des danseuses.

Catherine, ce soir-là, tandis que Fatima l'installait au milieu d'un flot de coussins de soie, sous le ciel nocturne, avait la curieuse sensation d'avoir changé de peau. D'abord parce qu'elle éprouvait un bien-être extraordinaire et se sentait à la fois légère et détendue, ensuite parce que le nouveau visage que lui avait donné Fatima lui semblait à la fois étrange et attirant. Elle avait paressé, durant au moins une heure, dans une grande piscine remplie d'eau tiède tandis qu'une esclave, accroupie sur le bord, lui tendait des fruits qu'elle lui épluchait. Ensuite, avant de la rhabiller avec d'étranges vêtements, on l'avait maquillée. Ses dents avaient été frottées avec une pâte spéciale, ses lèvres teintes d'un beau rouge tandis que ses yeux, ombrés de khôl, semblaient assez longs pour rejoindre la racine de ses cheveux.

Ses ongles, peints, brillaient comme autant de gemmes roses et elle se sentait merveilleusement à l'aise dans son nouveau costume : amples pantalons de mousseline rose rattachés aux hanches par une lourde ceinture d'orfèvrerie et laissant nus la taille et le ventre assorti d'une brassière à manches courtes, de satin rose. Sur sa tête, une petite calotte ronde retenait l'immense voile rose dont elle avait dû s'envelopper pour paraître sur le toit.

Un long moment Fatima et son unique cliente - Catherine avait appris que, tant qu'elle y serait en traitement, le hammam serait fermé pour toute autre, folle munificence d'Abou qui avait fortement impressionné la grosse baigneuse demeurèrent sans parler. La nuit était exceptionnellement douce, parfumée de jasmin et d'oranger. De la terrasse, le spectacle de la ville, dont les ruelles et les bazars encore ouverts s'éclairaient d'une multitude de lampes à huile, était féerique et inattendu pour une femme habituée aux villes noires de l'Occident, à leurs rues que le couvre-feu transformait en coupe-gorge, Catherine demeura longtemps fascinée par lui. Une musique étrange, lancinante et grêle qui devait venir de quelque cabaret s'élevait jusqu'à la jeune femme, luttant avec le grondement doux du torrent voisin.

Mais, bientôt, le regard de Catherine abandonna la ville pour gagner l'énorme masse du palais qui dominait de haut la maison de Fatima.

Celle-ci s'élevait au bord du Darro, au débouché du ravin qu'il creusait entre le promontoire d'Al Hamra et les coteaux de l'Albaicin et de l'Alcazaba Kadima. A cent cinquante mètres au-des- sus d'elle, les profonds créneaux du palais se découpaient sur le velours sombre du ciel. Là, aucune lumière, aucun signe de vie, sinon le pas ferré des invisibles sentinelles. Catherine crut deviner une menace dans ces murailles muettes. Elles semblaient la défier de leur arracher leur captif...

Les yeux de la jeune femme demeurèrent si longtemps rivés à l'inquiétant escarpement que Fatima remarqua, au bout d'un moment :

— On dirait que le palais t'attire, Lumière de l'Aurore ? A quoi rêves-tu quand tu le regardes ?

Audacieusement, Catherine répondit :

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