Quand je t’ai eu perdu de vue et que j’ai senti l’exécrable boîte m’enserrer et m’entraîner au loin, j’ai sérieusement songé à sauter dehors*
. Heureusement, à défaut de raison, la présence de mon frère m’a retenu. Mais le paroxysme a été violent. Je sais maintenant, comment on saute à l’eau.Nous avions pour compagnon de voyage un Suisse arrivé depuis trois jours en Russie. Il venait de Genève, il m’en a longuement parlé, — comme un imbécile, il est vrai, et pourtant cela m’a fait du bien — Genève — Hôtel des Bergues — le Rhône — vous, moi — et 8 ans en arrière…*
C’est horrible de rester 3 jours et 3 nuits dans une boîte qui roule. Comme on sent alors, combien on est bête.
Cette fois j’arrivais à Moscou par une splendide soirée. J’ai regardé ses coupoles et ses toits bariolés avec vos yeux et à votre intention, car pour mon propre compte, je ne me soucie plus de rien voir. En revoyant les objets, je suis toujours étonné de leur réalité. L’impression qu’on en conserve est toujours si pâle et si terne. Le souvenir n’est jamais qu’un fantôme.
J’ai revu ma mère, et les premiers moments passés j’ai vu avec plaisir qu’elle était beaucoup plus tranquille que je ne l’avais cru. Sa santé est bonne et son existence actuelle lui convient. Elle parle volontiers de la perte qu’elle a faite, et dès qu’on en parle, on l’a acceptée… Peut-être ai-je tort.
Ici, tu penses bien, on fait les vœux les plus ardents pour que nous venions passer l’hiver prochain à Moscou. En attendant la maison dont Dorothée t’a parlé est déjà prise et à vue de pays il nous sera difficile d’en trouver une telle qu’il nous la faut à moins de 4 mille roubles
Les tantes te font dire mille tendresses. La tante Nadine a changé de domicile, mais c’est toujours dans la même nuance. Il y a ici en ce moment une 3ème
tante que tu ne connais pas. Elle a vu dernièrement à Kalouga Madame Smirnoff* qui, à ce qu’elle m’a dit, lui a beaucoup parlé de moi et lui a demandé, sur ma jeunesse et mon enfance une foule de détails que celle-ci s’est trouvée dans l’absolue impossibilité de lui fournir. Elle m’a dit aussi que la santé de la pauvre femme est dans un état déplorable. Je suis très décidé à l’aller voir à mon retour. C’est la semaine prochaine que nous comptons partir, mais je sais bien une chose. C’est que leIl me faut une lettre de toi pour aujourd’hui. Adieu, ma chatte. Il fait ici des chaleurs accablantes, le Kremlin a grandi encore, maintenant que la masse du Palais est plus en évidence*
. J’irai en voir l’intérieur un de ces 4 matins. Hier j’ai vu Mollerus* qui repartait de Moscou, enchanté de tout ce qu’il avait vu et mettant Moscou à cent degrés au-dessus de Pétersbourg, il se proposait de l’aller voir à son retour — ce qui vaut mieux que tout au monde. Encore une fois adieu, ma chatte. N’ayez qu’un souci, celui de vous conserver. J’embrasse Anna et les enfants. Mes amitiés aux Wiasemsky et aux Karamzine, à Sophie* surtout.T. T.
Москва. 8 августа
Когда я потерял тебя из виду и почувствовал, что заперт в ненавистном ящике, который влечет меня вдаль, я всерьез подумал, а не выскочить ли мне вон*
. Не благоразумие мое, а присутствие брата, к счастью, удержало меня. Но порыв был безудержно бурный. Теперь я понимаю, как люди бросаются в воду.В спутники нам достался швейцарец, приехавший в Россию три дня тому назад. Он прибыл из Женевы, долго говорил со мной о ней — говорил, правда, как болван, — и все же это принесло мне облегчение. — Женева, гостиница Бергов, Рона, ты, я — восемь лет назад…*
Как отвратительно пребывать трое суток в катящемся ящике! Так ясно тогда сознаешь, как ты глуп.
На этот раз я приехал в Москву в чудесный вечер. Я смотрел на ее купола и пестрые крыши твоими глазами и имея тебя в виду, ибо сам я ничего уже не хочу видеть. Видя вновь знакомые предметы, я всегда удивляюсь тому, что они действительно существуют. Впечатление, которое сохраняешь от них, всегда бывает таким бледным и тусклым. Воспоминание — лишь призрак.