Enfin, après cinq mois de silence, c’est hier que j’ai reçu votre lettre du 8 novembre de l’année dernière. C’est mon frère qui vient de me l’envoyer de Varsovie. Je vois bien par ses explications qu’il y a eu beaucoup de malentendus dans cette affaire. Je n’accuse personne, mais je vous avoue que j’aurais été très reconnaissant si l’on m’eût épargné le chagrin et l’inquiétude que ces cinq mois de silence m’ont fait éprouver… Au mois d’octobre dernier je reçus une lettre de Nicolas qui m’annonçait qu’il allait quitter le service et qu’il allait nous arriver vers la fin de l’année. Je n’ai pas besoin de vous dire la joie que cette nouvelle nous avait laissé, et comme Nicolas nous annonçait son arrivée en termes très positifs, j’ai cru que nous pouvions nous permettre de l’attendre tout de bon. Mais voilà que le nouvel an arrive sans nous l’amener, ni lui-même, ni une lettre de lui, ni le moindre signe de lui ou de vous. Dans l’incertitude où ce silence m’avait mis je me décide à vous écrire directement, en adressant ma lettre à Orel. Et voilà deux mois passés que je suis dans l’attente d’une réponse à cette lettre*
. Enfin il y a une quinzaine de jours environ j’ai écrit à Minsk* pour demander à ma sœur des nouvelles, tant de vous que de Nicolas, lorsque hier une lettre arrivée de Varsovie et qui contenait celle que vous m’avez écrite, chers papa et maman, en date du 8 du mois de novembre dernier, est fort heureusement arrivée pour tranquilliser, en partie au moins, mes inquiétudes. Je vois bien par les explications de Nicolas que c’est l’attente où il est depuis des mois de se mettre en route pour venir me rejoindre qui l’a engagé à différer de me transmettre dans le temps votre lettre du mois de novembre, mais cela ne m’explique pas, comment il se fait que depuis lors vous ne m’ayez plus donné signe de vie? La dernière lettre que je vous ai écrite a plus de deux mois de date, et je suis encore à attendre la réponse à l’heure qu’il est. Le cours des postes a beau être inexact. Jusqu’à présent au moins je n’avais jamais remarqué cette persévérance d’irrégularité, car depuis une année voilà du compte fait trois de mes lettres qui ne vous sont pas parvenues. Je ne saurais non plus supposer que ce soit à dessein qu’on supprime mes lettres. Pourquoi et dans quel intérêt le ferait-on? Et si on les ouvre, eh bien, qu’on vous les envoie au moins ouvertes.Nous avons eu un bien triste hiver. Il a commencé par la mort de la pauvre Reine douairière*
, ce qui a mis pour tout l’hiver la ville entière en deuil. Puis sont arrivées les maladies, des fièvres de toute espèce qui ont fait ravage et qui continuent encore, si bien que la mortalité a été plus forte dans ces derniers temps qu’à l’époque même du choléra. Dans notre ménage il n’y a que ma femme qui se soit ressentie de cette détestable influence. Elle s’était fort bien portée jusqu’à la fin de janvier, mais depuis ce moment elle a été constamment souffrante: elle va mieux maintenant, mais les médecins insistent pour qu’elle aille l’été prochain à Kissingen et de là aux bains de mer. Ma santé est fort bonne et celle des enfants aussi. Anna est à Weimar depuis le mois de novembre. Elle s’y trouve extrêmement heureuse entre sa tante et Maltitz qui a pour elle la plus tendre affection. Le séjour de Weimar est, il est vrai, passablement insipide pour quelqu’un qui a roulé dans le monde, offre toute sorte d’avantages et d’agréments à une enfant de douze ans, car toute la ville est comme un grand pensionnat. Clotilde m’écrit que la Grande-Duchesse qui voit Anna une fois ou deux dans la semaine, lui témoigne beaucoup de bienveillance. L’aumônier de la Grande-Duchesse lui donne des leçons du catéchisme et de langue russe, et elle a en outre toute sorte de maîtres et d’occupations.Les Sévérine sont absents depuis tout l’hiver qu’ils ont passé à Nice et reviendront ici le mois prochain. En fait des Russes nous avons ici la Princesse
Nicolas m’écrit que Mr