Pourtant, peut-être il avait raison!.. M. Ponsard a soulevé avec noblesse et désintéressement la pierre de cette tombe récente. Il a dédaigné le moyen trop facile d'agir sur le public par des allusions. Il n'a pas voulu fausser le passé et profaner les morts, en s'en servant comme des masques pour les questions du jour. Si la pièce est un peu froide, si elle ne renferme point une action véritablement dramatique, il faut rechercher la cause de tous ces manquements ailleurs que dans la politique. La politique n'y entre pour rien, nous pensons que le choix même de l'héroïne a contribué à cette froideur et à cette absence d'action. Mais nous nous réservons de parler plus au long de la pièce de M. Ponsard dans un des articles prochains. C'est une œuvre trop sérieuse pour qu'on ait le droit de la juger à la hâte, après une seule représentation. Pour le moment nous avons voulu nous tenir dans les généralités.
Eh bien! Nous le répétons, nous savons gré à l'auteur d'avoir traité son sujet
Comment vivre dans la peau de Marat, cet ogre révolutionnaire qu'on montre aux petits enfants à cheveux blancs, pour les rejeter dans la réaction? Et il le fallait pourtant.
Remarquez que toute l'immensité du génie de Shakespeare repose sur cette nature de Protée: Shakespeare ne raconte pas, n'accuse pas; il ne distribue pas de prix Monthyon, mais il est lui-même Shylock, Iago; il est à la fois et Falstaff et Hamlet. Le poète n'est pas un juge d'instruction, ni un procureur du roi; il n'accuse pas, il ne dénonce pas, surtout dans un drame. Encore une fois le poète vit de la vie de ses héros; il tâche de comprendre et de dire ce qui est humain même dans le crime. Que le poète tâche d'être vrai, et les faits feront plus de morale que les sentences et les maximes. Il faut avoir quelque confiance dans la nature humaine et dans notre intelligence.
Nous louons l'auteur d'avoir eu le soin de ne pas rappeler de la tombe Marat pour lui faire jouer le rôle d'un chacal enragé, – de cet homme-loup, dépeint par la tante de Charlotte, de ce maniaque sanguinaire dépeint par Barbaroux. Non, Marat est représenté, comme nous le connaissons, aigri, maladif, atrabilaire, fanatique, soupçonneux, le grand inquisiteur de la Révolution, «le Lazare maudit qui a souffert avec le Peuple et qui a épousé sa haine, sa vengeance!»
C'est bien dommage que l'auteur ait dévié de cette route dans la dernière scène, où Danton et Charlotte Corday mettent, pour ainsi dire, les points sur les i. Quelle froideur dans cette scène! Qu'elle est peu naturelle! Qu'elle est longue! La pièce pouvait très bien finir par la réponse de Danton à Charlotte,questionné sur l'effet produit par la mort de Marat: «Vous avez préparé son apothéose!» Le spectateur aurait pu achever l'ironie, en pensant que, de l'autre côté, la fin tragique de Marat, à son tour, avait élevé le piédestal d'une autre divinité – Charlotte Corday, pauvre fille enthousiaste! Elle était atteinte de cette fièvre générale, qui embrasait à cette époque ardente le sang de tous les hommes, le sang de Marat comme le sien. Elle s'est dévouée au crime comme Karl Sand, sans avoir pour excuse dixneuf ans et une obéissance aveugle. On en a fait un «ange de l'assassinat», lorsqu'elle n'était qu'une sombre fanatique. Sa haine contre Marat est une monomanie. Pourquoi veut-elle le tuer, lui et non Robespierre, qui était plus dangereux pour ses amis, les girondins. Une monomanie ne peut intéresser que sous le point de vue pathologique.
Le peu d'intérêt véritable qui s'attachait à la personne de Charlotte Corday a beaucoup influé sur la pièce. Un assassin peut très bien être le héros d'une tragédie, mais pour cela il faut qu'il ait été encore quelque
L'auteur a créé une Charlotte, une Charlotte qui parle beaucoup et comme un livre. On ne commence à s'intéresser à elle que lorsqu'elle entre dans la chambre de Marat; et pourtant on frissonne à la pensée que là, derrière ce rideau, se commet un crime.
Il y avait même quelque chose de pénible dans ces bouquets qui sont tombés aux pieds de M-lle Judith au moment où elle sortait couverte de sang. M-lle Judith a certainement mérité ces bouquets. Dieu nous garde de penser crue ce n'est pas à l'artiste, mais à l'acte même que s'adressaient ces marques de sympathie, mais elles auraient été certainement mieux placées au dernier acte.