Читаем Alexis ou le Traité du Vain Combat - Le Coup de Grâce полностью

C’était alors la même construction blanche, tout en colonnades et en fenêtres, de ce goût français qui prévalut au siècle de Catherine. Mais il faut vous rappeler que cette vieille maison était beaucoup plus délabrée qu’aujourd’hui, puisqu’elle n’a été réparée que grâce à vous, à l’époque de notre mariage. Il ne vous est pas difficile de l’imaginer alors : souvenez-vous de l’état où elle se trouvait quand vous y vîntes pour la première fois. Sûrement, on ne l’avait pas élevée pour y vivre une vie monotone ; je suppose qu’elle avait été bâtie pour y donner des fêtes (au temps où l’on donnait des fêtes) par la fantaisie d’un aïeul qui voulait montrer du faste. Toutes les maisons du dix-huitième siècle sont ainsi : il semble qu’elles soient construites pour la réception des hôtes, et nous n’y sommes jamais que des visiteurs mal à l’aise. Nous avions beau faire : celle-ci était toujours trop grande pour nous et il y faisait toujours froid. Il me semblait aussi qu’elle n’était pas solide, et certes, la blancheur de pareilles maisons, si désolée sous la neige, fait penser à de la fragilité. On comprend bien qu’elles ont été conçues pour des pays beaucoup plus tièdes, et par des gens qui prennent plus facilement la vie. Mais je sais maintenant que cette construction d’apparence légère, qu’on dirait prévue pour l’espace d’un été, durera infiniment plus longtemps que nous, et peut-être que notre famille. Il se peut qu’elle aille un jour à des étrangers ; cela lui serait indifférent, car les maisons vivent d’une vie particulière, à laquelle notre vie importe peu, et que nous ne comprenons pas.

J’y revois des visages sérieux, un peu tirés, des visages pensifs de femmes dans des salons trop clairs. L’aïeul dont je vous parlais tout à l’heure avait voulu que les pièces fussent spacieuses afin que la musique y sonnât mieux. Il aimait la musique. De lui, on ne parlait pas souvent ; il semblait qu’on préférât n’en rien dire ; on savait qu’il avait dilapidé un grand avoir ; peut-être lui en voulait-on, ou bien y avait-il autre chose. On passait encore deux générations sous silence, et probablement rien de remarquable ne valait qu’on s’y intéressât. Mon grand-père venait ensuite ; il s’était ruiné au temps des réformes agraires ; il était libéral ; il avait des idées qui pouvaient être très bonnes, mais qui naturellement l’avaient appauvri, et la gestion de mon père fut aussi déplorable. Il mourut jeune, mon père. Je m’en souviens très peu ; je me rappelle qu’il était sévère, pour nous autres enfants, comme sont parfois sévères les gens qui se reprochent de n’avoir pas su l’être envers eux-mêmes. Bien entendu, ce n’est là qu’une supposition, et je ne sais rien de mon père.

J’ai remarqué quelque chose, Monique : on dit que les vieilles maisons contiennent toujours des fantômes ; je n’en ai jamais vu, et pourtant j’étais un enfant craintif. Peut-être je comprenais déjà que les fantômes sont invisibles, parce que nous les portons en nous-mêmes. Mais ce qui rend les vieilles maisons inquiétantes, ce n’est pas qu’il y ait des fantômes, c’est qu’il pourrait y en avoir.

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