Читаем Alexis ou le Traité du Vain Combat - Le Coup de Grâce полностью

On n’a peut-être pas assez remarqué que le problème de la liberté sensuelle sous toutes ses formes est en grande partie un problème de liberté d’expression. Il semble bien que, de génération en génération, les tendances et les actes varient peu ; ce qui change au contraire est autour d’eux l’étendue de la zone de silence ou l’épaisseur des couches de mensonge. Cela n’est pas vrai que des aventures interdites : c’est à l’intérieur du mariage lui-même, dans les rapports sensuels entre époux, que la superstition verbale s’est le plus tyranniquement imposée. L’écrivain qui cherche à traiter avec honnêteté de l’aventure d’Alexis, éliminant de son langage les formules supposées bienséantes, mais en réalité à demi effarouchées ou à demi grivoises qui sont celles de la littérature facile, n’a guère le choix qu’entre deux ou trois procédés d’expression plus ou moins défectueux et parfois inacceptables. Les termes du vocabulaire scientifique, de formation récente, destinés à se démoder avec les théories qui les étayent, détériorés par une vulgarisation à outrance qui leur enlève bientôt leurs vertus d’exactitude, ne valent que pour les ouvrages spécialisés, pour lesquels ils sont faits ; ces mots-étiquettes vont à l’encontre du but de la littérature, qui est l’individualité dans l’expression. L’obscénité, méthode littéraire qui eut de tout temps ses adeptes, est une technique de choc défendable s’il s’agit de forcer un public prude ou blasé à regarder en face ce qu’il ne veut pas voir, ou ce que par excès d’habitude il ne voit plus. Son emploi peut aussi légitimement correspondre à une espèce d’entreprise de nettoyage des mots, d’effort pour rendre à des vocables indifférents en eux-mêmes, mais salis et déshonorés par l’usage, une sorte de propre et tranquille innocence. Mais cette solution brutale reste une solution extérieure : l’hypocrite lecteur tend à accepter le mot incongru comme une forme de pittoresque, presque d’exotisme, à peu près comme le voyageur de passage dans une ville étrangère s’autorise à en visiter les bas-fonds. L’obscénité s’use vite, forçant l’auteur qui l’utilise à des surenchères plus dangereuses encore pour la vérité que les sous-entendus d’autrefois. La brutalité du langage trompe sur la banalité de la pensée, et (quelques grandes exceptions mises à part) reste facilement compatible avec un certain conformisme.

Перейти на страницу:

Похожие книги