Et celui-là qui se harnache pour mourir et dont il te semble qu'il ne reçoive rien dans l'instant puisque cette caresse même qui est si peu de chose ne lui est pas promise, mais bien au contraire la soif dans le soleil, le vent de sable qui crisse aux dents, puis les hommes autour de lui devenus pressoir de secrets, et celui qui se harnache pour la mort pour entrer vêtu dans la mort de son uniforme de mort et dont il te semble qu'il devrait crier son désespoir comme tel que j'ai condamné à la pendaison pour quelque crime, et qui lutte de sa chair contre d'implacables barreaux, mais celui-là qui se harnache pour la mort tu le découvres pacifique, te regardant d'un regard calme et répondant aux plaisanteries du corps de garde, lesquelles sont affection bourrue, et non par forfanterie ni pour montrer quelque courage, ou quelque dédain de la mort, ou quelque cynisme, ni quoi que ce soit de semblable, mais transparent comme une eau calme et n'ayant rien à te cacher — et s'il est triste un peu, disant sans gêne sa tristesse — rien à te cacher sinon son amour. Et je te dirai pourquoi plus tard.
Mais ce même qui ne tremble pas en bouclant ses courroies de cuir, je sais des armes contre lui qui prévalent sur la mort. Car il est vulnérable par tant de côtés. Ont barre sur lui toutes les divinités de son cœur. Et la simple jalousie si elle est menace d'un empire et d'un sens des choses et d'un goût du retour chez soi, comme elle ruinera bien cette belle image de calme, de sagesse et de renoncement! Tu vas tout lui prendre puisqu'il va rendre à Dieu non seulement celle-là qu'il aimait mais sa maison et les vendanges de ses vignes et la moisson crissante de ses champs d'orge. Et non seulement les moissons, les vendanges et les vignes, mais son soleil. Et non seulement son soleil, mais celle-là qui est de chez lui. Et tu le vois qui abdique tant de trésors sans marquer de ruine. Alors qu'il suffirait pour le jeter hors de lui-même et pour le changer en dément de lui voler un sourire de la bien-aimée. Et n'as-tu pas touché ici à une grande énigme? C'est que tu le tiens non par les objets possédés mais par le sens qu'il tire du nœud divin qui noue les choses. Et qu'il préfère sa propre destruction à la destruction de ce en quoi il s'échange et dont en retour il reçoit son allaitement. Il est circulation de l'un en l'autre. Et celui-là qui porte au cœur la vocation de la mer accepte de mourir d'un naufrage. Et s'il est vrai qu'à l'instant du naufrage il éprouvera peut-être le tumulte de l'animal quand le piège sur lui se referme, il demeure vrai que ne compte point cette explosion de panique, laquelle il prévoit, accepte et dédaigne, mais que bien au contraire lui plaît la certitude qu'il mourra un jour de la mer. Car si je les écoute se plaindre de cette mort aussi cruelle qui les attend, j'y entends autre chose que vantardise pour séduire les femmes, mais souhait secret de l'amour et pudeur pour le dire.
Car il n'est point ici, comme nulle part, de langage qui te permette de t'exprimer. S'il s'agit de la civilisation de l'amour tu peux dire «elle» et te traduire, croyant que c'est d'elle qu'il s'agit, alors qu'il s'agit du sens des choses, et qu'elle n'est là que pour te signifier le nœud divin qui les noue au Dieu qui est sens de ta vie, et mérite selon toi tes élans, alors qu'ils sont de communiquer de telle façon et non d'une autre avec le monde. Et d'être soudain tellement vaste que l'âme, telles les conques marines, te devient retentissante. Et peut-être peux-tu dire «l'empire» dans la certitude d'être compris et de prononcer un mot tout simple, si tous autour de toi l'entendent, selon ton instinct, mais non s'il peut être là quelqu'un qui n'y voit qu'une somme et rira de toi car il ne s'agit point du même empire. Et il te déplairait que l'on crût que tu offrais ta vie pour un magasin d'accessoires.
Car il en est ici comme d'une apparition qui s'ajoute aux choses et les domine et si elle échappe à ton intelligence apparaît pourtant comme évidente à ton esprit et à ton cœur. Et te gouverne mieux ou plus durement et plus sûrement que quoi que ce soit de saisissable (mais dont tu ne peux être certain que d'autres en même temps que toi l'observent) et te fait rester silencieux de peur d'être taxé de folie et de voir soumis à l'ironie qui n'est que du cancre ce visage qui t'est apparu. Car l'ironie le détruira en cherchant à montrer de quoi il est fait. Comment lui répondrais-tu qu'il est ici tout autre chose, puisque cette autre chose est pour ton esprit et non pour tes yeux?