Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome II полностью

Ce dimanche tant appelé arriva enfin. Dès la veille, Rousseau avait fait ses préparatifs; ses souliers soigneusement cirés, l’habit gris, chaud et léger tout ensemble, avaient été tirés de l’armoire au grand désespoir de Thérèse, qui prétendait qu’une blouse ou un sarrau de toile étaient bien suffisants pour un pareil métier; mais Rousseau, sans rien répondre, avait fait à sa guise; non seulement son costume, mais encore celui de Gilbert avait été revu avec le plus grand soin, et il s’était même augmenté de bas irréprochables et de souliers neufs, dont Rousseau lui avait fait une surprise.


La toilette de l’herbier aussi était fraîche; Rousseau n’avait pas oublié sa collection de mousses destinée à jouer un rôle.


Rousseau, impatient comme un enfant, se mit plus de vingt fois à la fenêtre pour savoir si telle ou telle voiture qui roulait n’était pas le carrosse de M. de Jussieu. Enfin, il aperçut une caisse bien vernie, des chevaux richement harnachés, un vaste cocher poudré stationnant devant sa porte. Il courut aussitôt dire à Thérèse:


– Le voici! le voici!


Et à Gilbert:


– Vite, Gilbert, vite! Le carrosse nous attend.


– Eh bien! dit aigrement Thérèse, puisque vous aimez tant à rouler en voiture, pourquoi n’avez-vous travaillé pour en avoir une, comme M. de Voltaire?


– Allons donc! grommela Rousseau.


– Dame! vous dites toujours que vous avez autant de talent que lui.


– Je ne dis pas cela, entendez-vous! cria Rousseau fâché à la ménagère; je dis… je ne dis rien!


Et toute sa joie s’envola, comme cela arrivait chaque fois que ce nom ennemi retentissait à son oreille.


Heureusement, M. de Jussieu entra.


Il était pommadé, poudré, frais comme le printemps; un admirable habit de gros satin des Indes à côtes, couleur gris de lin, une veste de taffetas lilas clair, des bas de soie blancs d’une finesse extrême et des boucles d’or poli composaient son accoutrement.


En entrant chez Rousseau, il emplit la chambre d’un parfum varié que Thérèse respira sans dissimuler son admiration.


– Que vous voilà beau! dit Rousseau en regardant obligeamment Thérèse et en comparant des yeux sa modeste toilette et son équipage volumineux de botaniste avec la toilette si élégante de M. de Jussieu.


– Mais non, j’ai peur de la chaleur, dit l’élégant botaniste.


– Et l’humidité des bois! Vos bas de soie, si nous herborisons dans les marais…


– Oh! que non; nous choisirons nos endroits.


– Et les mousses aquatiques, nous les abandonnerons donc pour aujourd’hui?


– Ne nous inquiétons pas de cela, cher confrère.


– On dirait que vous allez au bal, et chez des dames.


– Pourquoi ne pas faire honneur d’un bas de soie à dame Nature? répliqua M. de Jussieu un peu embarrassé; n’est-ce pas une maîtresse qui vaut la peine qu’on se mette en frais pour elle?


Rousseau n’insista pas; du moment que M. de Jussieu invoquait la nature, il était d’avis lui-même qu’on ne pouvait jamais lui faire trop d’honneur.


Quant à Gilbert, malgré son stoïcisme, il regardait M. de Jussieu avec un œil d’envie. Depuis qu’il avait vu tant de jeunes élégants rehausser encore avec la toilette les avantages naturels dont ils étaient doués, il avait compris la frivole utilité de l’élégance, et il se disait tout bas que ce satin, cette batiste, ces dentelles, donneraient bien du charme à sa jeunesse, et que, sans aucun doute, au lieu d’être vêtu comme il l’était, s’il était vêtu comme M. de Jussieu et qu’il rencontrât Andrée, Andrée le regarderait.


On partit au grand trot de deux bons chevaux danois. Une heure après le départ, les botanistes descendaient à Bougival et coupaient vers la gauche par le chemin des Châtaigniers.


Cette promenade, merveilleusement belle aujourd’hui, était à cette époque d’une beauté au moins égale, car la partie du coteau que s’apprêtaient à parcourir nos explorateurs, boisée déjà sous Louis XIV, avait été l’objet de soins constants depuis le goût du souverain pour Marly.


Les châtaigniers aux rugueuses écorces, aux branches gigantesques, aux formes fantastiques, qui tantôt imitent dans leurs noueuses circonvolutions le serpent s’enroulant autour du tronc, tantôt le taureau renversé sur l’étal du boucher et vomissant un sang noir, le pommier chargé de mousse, et les noyers, colosses dont le feuillage passe, en juin, du vert jaune au vert bleu; cette solitude, cette aspérité pittoresque du terrain qui monte sous l’ombre des vieux arbres jusqu’à dessiner une vive arête sur le bleu mat du ciel; toute cette nature puissante, gracieuse et mélancolique plongeait Rousseau dans un ravissement inexprimable.


Quant à Gilbert, calme mais sombre, toute sa vie était dans cette seule pensée:


– Andrée quitte le pavillon du jardin et va à Trianon.


Sur le point culminant de ce coteau que gravissaient à pied les trois botanistes, on voyait s’élever le pavillon carré de Luciennes.


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