Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome II полностью

– Duc, j’ai toujours pensé à part moi que vous étiez sorcier; seulement, il me manquait une preuve.


– Eh bien, cette preuve, je vais vous la donner.


La comtesse, qui attachait à la conversation beaucoup plus d’intérêt qu’elle ne voulait paraître en attacher, abandonna la tête de Zamore, dont ses doigts blancs et fins fourrageaient la chevelure.


– Donnez, duc, donnez, dit-elle.


– Devant M. le gouverneur? dit le duc.


– Disparaissez, Zamore, fit la comtesse au négrillon, qui, fou de joie, s’élança d’un seul bond du boudoir a l’antichambre.


– À la bonne heure, murmura Richelieu; mais il faut donc tout vous dire, comtesse?


– Comment, ce singe de Zamore vous gênait, duc!


– Pour dire la vérité, comtesse, quelqu’un me gêne toujours.


– Oui, quelqu’un, je comprends; mais Zamore est-il quelqu’un?


– Zamore n’est pas aveugle, Zamore n’est pas sourd, Zamore n’est pas muet; c’est donc quelqu’un. Or, je décore de ce nom quiconque est mon égal en yeux, en oreilles et en langue, c’est-à-dire quiconque peut voir ce que je fais, entendre ou répéter ce que je dis, enfin quiconque peut me trahir. Cette théorie posée, je continue.


– Oui, continuez, duc, vous me ferez plaisir.


– Plaisir, je ne crois pas, comtesse; n’importe, je dois continuer. Le roi visitait donc hier Trianon.


– Le petit ou le grand?


– Le petit. Madame la dauphine était à son bras.


– Ah!


– Et madame la dauphine, qui est charmante, comme vous savez…


– Hélas!


– Lui faisait tant de cajoleries, de petit papa par-ci, de grand papa par-là, que Sa Majesté, dont le cœur est d’or, n’y put résister, de sorte que le souper a suivi la promenade, que les jeux innocents ont suivi le souper. Enfin…


– Enfin, dit madame du Barry pâle d’impatience, enfin le roi n’est pas venu à Luciennes, n’est-ce pas, voilà ce que vous voulez dire?


– Eh bien, mon Dieu, oui.


– C’est tout simple, Sa Majesté avait là-bas tout ce qu’elle aime.


– Ah! non point, et vous êtes loin de penser un seul mot de ce que vous dites; tout ce qui lui plaît, tout au plus.


– C’est bien pis, duc, prenez garde: souper, causer, jouer, c’est tout ce qu’il lui faut. Et avec qui a-t-il joué?


– Avec M. de Choiseul.


La comtesse fit un mouvement d’irritation.


– Voulez-vous que nous n’en parlions pas, comtesse? reprit Richelieu.


– Au contraire, monsieur, parlons-en.


– Vous êtes aussi courageuse que spirituelle, madame; attaquons donc le taureau par les cornes, comme disent les Espagnols.


– Voilà un proverbe que madame de Choiseul ne vous pardonnerait pas, duc.


– Il ne lui est pas applicable cependant. Je disais donc, madame, que M. de Choiseul, puisqu’il faut l’appeler par son nom, tint les cartes, et avec tant de bonheur, tant d’adresse…


– Qu’il gagna?


– Non pas, qu’il perdit, et que Sa Majesté gagna mille louis au piquet, jeu où Sa Majesté a beaucoup d’amour-propre, attendu qu’elle le joue fort mal.


– Oh! le Choiseul! le Choiseul! murmura madame du Barry. Et madame de Grammont, elle en était, n’est-ce pas?


– C’est-à-dire, comtesse, qu’elle était sur son départ.


– La duchesse?


– Oui, elle fait une sottise, je crois.


– Laquelle?


– Voyant qu’on ne la persécute pas, elle boude; voyant qu’on ne l’exile pas, elle s’exile elle-même.


– Où cela?


– En province.


– Elle va intriguer.


– Parbleu! Que voulez-vous qu’elle fasse? Donc, étant sur son départ, elle a tout naturellement voulu saluer la dauphine, qui naturellement l’aime beaucoup. Voilà pourquoi elle était à Trianon.


– Au grand?


– Sans doute, le petit n’est pas encore meublé.


– Ah! madame la dauphine, en s’entourant de tous ces Choiseul, montre bien quel parti elle veut embrasser.


– Non, comtesse, n’exagérons pas; car enfin, demain la duchesse sera partie.


– Et le roi s’est amusé là où je n’étais pas! s’écria la comtesse avec une indignation qui n’était pas exempte d’une certaine terreur.


– Mon Dieu! oui; c’est incroyable, mais cependant cela est ainsi, comtesse. Voyons, qu’en concluez-vous?


– Que vous êtes bien informé, duc.


– Et voilà tout?


– Non pas.


– Achevez donc.


– J’en conclus encore que, de gré ou de force, il faut tirer le roi des griffes de ces Choiseul, ou nous sommes perdus.


– Hélas!


– Pardon, reprit la comtesse; je dis nous, mais tranquillisez-vous, duc, cela ne s’applique qu’à la famille.


– Et aux amis, comtesse; permettez-moi donc à ce titre d’en prendre ma part. Ainsi donc…


– Ainsi donc, vous êtes de mes amis?


– Je croyais vous l’avoir dit, madame.


– Ce n’est point assez.


– Je croyais vous l’avoir prouvé.


– C’est mieux, et vous m’aiderez?


– De tout mon pouvoir, comtesse; mais…


– Mais quoi?


– L’ouvre est bien difficile, je ne vous le cache point.


– Sont-ils donc indéracinables, ces Choiseul?


– Ils sont vigoureusement plantés, du moins.


– Vous croyez, vous?


– Je le crois.


– Ainsi, quoi qu’en dise le bonhomme La Fontaine, il n’y a contre ce chêne ni vent ni orage.


– C’est un grand génie que ce ministre.


– Bon! voilà que vous parlez comme les encyclopédistes, vous.


– Ne suis-je pas de l’Académie?


– Oh! vous en êtes si peu, duc.


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