Читаем JOSEPH BALSAMO Mémoires d’un médecin Tome II полностью

– C’est vrai, et vous avez raison; c’est mon secrétaire qui en est, et non pas moi. Mais je n’en persiste pas moins dans mon opinion.


– Que M. de Choiseul est un génie?


– Eh! oui.


– Mais en quoi éclate-t-il donc, ce grand génie? Voyons.


– En ceci, madame: qu’il a fait une telle affaire des parlements et des Anglais, que le roi ne peut plus se passer de lui.


– Les parlements, mais il les excite contre Sa Majesté!


– Sans doute, et voilà l’habileté.


– Les Anglais, il les pousse à la guerre!


– Justement, la paix le perdrait.


– Ce n’est pas du génie, cela, duc.


– Qu’est-ce donc, comtesse?


– C’est de la haute trahison.


– Quand la haute trahison réussit, comtesse, c’est du génie, ce me semble, et du meilleur.


– Mais, à ce compte, duc, je connais quelqu’un qui est aussi habile que M. de Choiseul.


– Bah!


– À l’endroit des parlements du moins.


– C’est la principale affaire.


– Car ce quelqu’un est cause de la révolte des parlements.


– Vous m’intriguez, comtesse.


– Vous ne le connaissez pas, duc?


– Non, ma foi.


– Il est pourtant de votre famille.


– J’aurais un homme de génie dans ma famille? Voudriez-vous parler du cardinal-duc, mon oncle, madame?


– Non; je veux parler du duc d’Aiguillon, votre neveu.


– Ah! M. d’Aiguillon, c’est vrai, lui qui a donné le branle à l’affaire La Chalotais. Ma foi, c’est un joli garçon, oui, oui, en vérité. Il a fait là une rude besogne. Tenez, comtesse, voilà, sur mon honneur, un homme qu’une femme d’esprit devrait s’attacher.


– Comprenez-vous, duc, fit la comtesse, que je ne connaisse pas votre neveu?


– En vérité, madame, vous ne le connaissez pas?


– Non, jamais je ne l’ai vu.


– Pauvre garçon! en effet, depuis votre avènement, il a toujours vécu au fond de la Bretagne. Gare à lui, quand il vous verra, il n’est plus habitué au soleil.


– Comment fait-il, au milieu de toutes ces robes noires, un homme d’esprit et de race comme lui?


– Il les révolutionne, ne pouvant faire mieux. Vous comprenez, comtesse, chacun prend son plaisir où il le trouve, et il n’y a pas grand plaisir en Bretagne. Ah! voilà un homme actif; peste! quel serviteur le roi aurait là s’il voulait. Ce n’est pas avec lui que les parlements garderaient leur insolence… Ah! il est vraiment Richelieu, comtesse: aussi, permettez…


– Quoi?


– Que je vous le présente à son premier débotté.


– Doit-il donc venir de sitôt dans Paris?


– Eh! madame, qui sait? peut-être en a-t-il encore pour un lustre à rester dans sa Bretagne, comme dit ce coquin de Voltaire; peut-être est-il en route; peut-être est-il à deux cents lieues; peut-être est-il à la barrière!


Et le maréchal étudia sur le visage de la jeune femme l’effet des dernières paroles qu’il avait dites.


Mais, après avoir rêvé un moment:


– Revenons au point où nous en étions.


– Où vous voudrez, comtesse.


– Où en étions-nous?


– Au moment où Sa Majesté se plaît si fort à Trianon, dans la compagnie de M. de Choiseul.


– Et où nous parlions de renvoyer ce Choiseul, duc.


– C’est-à-dire où vous parliez de le renvoyer, comtesse.


– Comment! dit la favorite, j’ai si grande envie qu’il parte, que je risque à mourir s’il ne part pas; vous ne m’y aiderez pas un peu, mon cher duc?


– Oh! oh! fit Richelieu en se rengorgeant, voilà ce qu’en politique nous appelons une ouverture.


– Prenez comme il vous plaît, appelez comme il vous convient, mais répondez catégoriquement.


– Oh! que voilà un grand vilain adverbe dans une si petite et si jolie bouche.


– Vous appelez cela répondre, duc?


– Non, pas précisément; c’est ce que j’appelle préparer ma réponse.


– Est-elle préparée?


– Attendez donc.


– Vous hésitez, duc?


– Non pas.


– Eh bien, j’écoute.


– Que dites-vous des apologues, comtesse?


– Que c’est bien vieux.


– Bah! le soleil aussi est vieux, et nous n’avons encore rien inventé de mieux pour y voir.


– Va donc pour l’apologue: mais ce sera transparent.


– Comme du cristal.


– Allons.


– M’écoutez-vous, belle dame?


– J’écoute.


– Supposez donc, comtesse… vous savez, on suppose toujours dans les apologues.


– Dieu! que vous êtes ennuyeux, duc.


– Vous ne pensez pas un mot de ce que vous dites là, comtesse, car jamais vous n’avez écouté plus attentivement.


– Soit; j’ai tort.


– Supposez donc que vous vous promenez dans votre beau jardin de Luciennes, et que vous apercevez une prune magnifique, une de ces reines-claudes que vous aimez tant, parce qu’elles ont des couleurs vermeilles et purpurines qui ressemblent aux vôtres.


– Allez toujours, flatteur.


– Vous apercevez, dis-je, une de ces prunes tout au bout d’une branche, tout au haut de l’arbre; que faites-vous, comtesse?


– Je secoue l’arbre, pardieu!


– Oui, mais inutilement, car l’arbre est gros, indéracinable, comme vous disiez tout à l’heure; et vous vous apercevez bientôt que, sans l’ébranler même, vous égratignez vos charmantes petites menottes à son écorce. Alors vous dites, en tournaillant la tête de cette adorable façon qui n’appartient qu’à vous et aux fleurs: «Mon Dieu! mon Dieu! que je voudrais bien voir cette prune à terre» et vous vous dépitez.


– C’est assez naturel, duc.


– Ce n’est certes pas moi qui vous dirai le contraire.


Перейти на страницу:

Похожие книги