La publication porte qu’à l’occasion de la plainte du Général l’université enjoint à tous les étudiants sous les peines les plus sévères de ne se plus jamais permettre dans des cas pareils aucuns pourparlers avec l’officier de garde, mais de faire sans mot dire l’ordre de l’officier, de respecter en tout point ce que la garde fera et de s’en rapporter pour les suites aux soins du recteur.
Voilà le fait, Sire, simplement énoncé; il n’a pas besoin de commentaire. Vous jugerez s’il méritait un rapport quelque officiel ou privé au Monarque de la Russie, dont chaque instant est voué au bien public.
Mais Vous espériez que l’Université Vous épargnerait ces désagréments, saurait prévenir ou éviter les occasions de ces plaintes de nos ennemis. Sire! D’après les bienfaits innombrables que Vous nous avez accordés et que sûrement Vous nous accorderez encore c’est le vœu le plus cher de notre cœur. Mais est-il possible de tout éviter, entourés comme nous le sommes?
On relève la moindre polissonnerie de tel ou tel étudiant et on l’importe à tous, on falsifie les faits ou aggrave ce qu’ils peuvent contenir de vrai. Il n’existe point de police à Dorpat. Ce qui en porte le nom n’en a point l’effet faute de moyens. Nous nous sommes abouchés plusieurs fois sur ce point avec le Magistrat, qui a demandé en vain qu’on place ici une vingtaine de Cosaques que la ville s’offre à entretenir à ses dépenses. On les lui a accordés pour quelques semaines dans un moment où la ville était menacée par des incendiaires, et retirés depuis. Il se forme souvent des attroupements d’ouvriers qui guettent les étudiants; l’université n’a ni le droit ni les moyens de les dissiper. Elle ne peut agir que sur les étudiants et fait à cet égard son possible. Le recteur déploie toute l’activité imaginable; le tribunal use de sévérité dans les cas de contravention (ses actes en font foi). Dans nos discours publics nous n’oublions jamais d’exhorter les étudiants à la vertu et à la décence. Le gouverneur général précédent, le prince Galizin ayant su nous ôter les moyens de former une société où nos étudiants pourraient jouir sous nos yeux de plaisirs permis et décents, nous faisons notre possible pour les détourner des mauvaises sociétés en les admettant dans les nôtres. J’ai par ex. tous les dimanches table ouverte pour plusieurs étudiants; l’après-dîner, le seul moment où je me permets quelque délassement entre V et V½, j’ouvre l’accès de ma maison à tout étudiant, et me prive, par la dépense que cela m’occasione, de toute autre espèce de jouissance que la modicité de mes revenus me pourrait permettre. Plusieurs autres professeurs en font de même. Du reste, Sire, si Vous daignez jeter les yeux sur nos travaux, Vous verrez qu’il est humainement impossible de faire davantage. Nos travaux officiels ne sont ordinairement terminés qu’à IX ½ du soir.
Sire! La guerre sourde qu’on nous fait ne cessera pas de sitôt. Ce n’est pas tel ou tel acte de l’Université dont on veut se venger, mais de l’esprit de l’Université. Nos étudiants prennent cet esprit; ils connaissent les droits de l’homme et les respectent. L’un d’eux par ex. était il y a un an un simple Lette, l’esclave d’un gentilhomme livonien. Ce simple Lette, quoiqu’a pas encore pris le ton des sociétés raffinées est traité avec amitié, avec des égards marqués de tous des étudiants, nobles et bourgeois; plusieurs d’entre eux même se sont retranchés de leurs aucuns plaisirs pour lui donner des secours d’argent dont il avait besoin à son arrivée ici. Voilà le crime de l’Université, le crime des étudiants, celui que la génération présente ne pardonnera jamais.