Se dirigeant maintenant vers le scénario de son enfance, il se sentait extrêmement ému par ses moindres souvenirs. Ici, un accident en chemin lui suggérait de doux souvenirs ; là, un groupe d'arbres vieillis éveillait en lui une attention toute spéciale. À plusieurs reprises, il croisa des caravanes de chameaux qui lui rappelaient les activités de son père. Sa vie spirituelle de ces dernières années avait été si intense, si grandes ses transformations, que la vie du foyer lui semblait un agréable rêve depuis longtemps disparu. Alexandre lui avait donné les premières nouvelles de sa famille. Il déplorait le départ de sa mère juste quand il avait le plus grande besoin de sa compréhension affectueuse ; mais dans son cas, il la livrait aux bons soins de Jésus. De son vieux père, il n'était pas raisonnable d'attendre une plus juste compréhension. En tant qu'esprit formaliste, radicalement proche du pharisaïsme d'une manière intégrale, il était certain qu'il n'approuverait pas sa conduite.
Il atteint les premières rues de Tarse, l'âme oppressée alors que les souvenirs se succédaient sans interruption.
Il frappa à la porte du foyer paternel. À la physionomie indifférente des serviteurs, il comprit combien il revenait transformé. Les deux domestiques les plus anciens ne le reconnurent pas. Il garda le silence et attendit. Après un long moment, son père est venu le recevoir. Le vieil Isaac se soutenant à sa canne, souffrant d'un rhumatisme obstiné avancé, n'a pas dissimulé un grand geste d'étonnement. Il avait immédiatement reconnu son fils.
Mon fils !... - a-t-il dit d'une voix énergique en cherchant à dominer son émotion - serait-ce possible que mes yeux me trompent ?
Saûl l'a étreint affectueusement, puis tous deux se dirigèrent à l'intérieur.
Isaac s'est assis et voulut savoir ce que son fils avait au fond de son cœur et d'un regard perçant il l'a interrogé sur un ton de censure :
Serais-tu vraiment guéri ?
Pour le jeune homme, une telle question était un coup de plus porté à sa sensibilité affective.
Il se sentait fatigué, dérouté, déçu ; il avait besoin de courage pour recommencer son existence dans un idéalisme plus grand et même son père le désapprouvait avec des questions absurdes ! Désireux de trouver de la compréhension, il lui a répondu avec émotion :
Mon père, par pitié, accueillez-moi !... Je n'ai pas été malade, mais par l'esprit, maintenant, je suis dans le besoin ! Je sens que je ne pourrai pas recommencer ma carrière dans la vie sans un peu de repos !... Tendez-moi vos mains !...
Connaissant l'austérité paternelle et l'extension de ses propres besoins en cette heure difficile de son chemin, l'ex-docteur de Jérusalem s'humilia complètement, mettant dans sa voix toute la fatigue que renfermait son cœur.
Le vieil Israélite l'a dévisagé fermement, solennel, et se prononça sans compassion :
Tu n'as pas été malade ? Que signifie donc la triste comédie de Damas ? Les enfants peuvent être ingrats et réussissent à oublier, mais les parents, s'ils ne quittent jamais leur pensée, savent ressentir toute la cruauté de leur façon de procéder... Ça ne te fais pas mal de nous voir vaincus et humiliés, souillés de toute la honte que tu as jetée sur notre maison ? Rongée de chagrin, ta mère a trouvé le soulagement dans la mort ; mais, moi ? Me crois-tu insensible à ta désertion ? Si j'ai résisté, c'est parce que je gardais l'espoir de trouver Jéhovah, supposant que tout cela n'était qu'un malentendu, qu'une perturbation mentale s'était abattue sur toi te jetant dans l'incompréhension et dans les critiques injustifiables du monde !... Je t'ai éduqué avec tout l'amour qu'un père de notre race a l'habitude de consacrer à son fils unique...
Tu synthétisais de glorieuses promesses pour notre lignée. Je me suis sacrifié pour toi, je t'ai comblé de faveurs, je n'ai pas épargné mes efforts pour que tu puisses avoir les maîtres les plus sages, j'ai soigné ta jeunesse, je t'ai rempli de la tendresse de mon amour et c'est de cette manière que tu me rends les dévouements et les affections du foyer ?
Saûl pouvait affronter plusieurs hommes armés sans manquer du courage qui marquait sa conduite. Il pouvait réprimander les comportements condamnables des autres, occuper la plus dangereuse tribune pour l'examen des hypocrisies humaines, mais devant ce vieillard dont il ne pouvait plus renouveler la foi, et considérant la grandeur de ses sentiments paternels sacrés, il ne put réagir et se mit à pleurer.
Tu pleurs ? - a continué l'ancien très sèchement. -Mais, je ne t'ai jamais donné d'exemples de lâcheté ! Dans les jours les plus difficiles, j'ai lutté avec héroïsme pour que tu ne manques de rien. Ta faiblesse morale est fille du parjure, de la trahison. Tes larmes viennent du remords inéluctable ! Comment as-tu pu suivre, ainsi, le chemin du mensonge exécrable ? Pourquoi as-tu produit la scène de Damas pour répudier les principes qui t'ont nourri dès le berceau ?