Bientôt, dans la douce quiétude de son cerveau endolori, il sentit que le sommeil commençait à l'envelopper. Une sensation très douce de repos lui apportait un grand soulagement. Serait-il en train de dormir ? Il avait l'impression d'avoir pénétré une région de rêves délicieux. Il se sentait agile et heureux. On aurait dit qu'il avait été emporté dans une campagne touchée d'une lumière printanière, libéré et loin de ce monde. Des fleurs brillantes, comme faites de brume colorée, s'ouvraient le long de routes merveilleuses qui parsemaient la région baignée de clartés indéfinissables. Tout lui parlait d'un monde différent. À ses oreilles résonnaient de douces harmonies, donnant l'impression de mélodies jouées au loin par des harpes et des luths divins. Il chercha à identifier le paysage, en définir les contours, enrichir ses observations, mais un sentiment profond de paix le fascinait entièrement. Il devait avoir pénétré dans un royaume merveilleux, car les prodiges spirituels qui se manifestaient à ses yeux dépassaient toute compréhension.13
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Plus tard dans la 2eme Épître aux Corinthiens (chapitre 12, versets de 2 à 4), Saûl affirmait : - « Je connais un homme en Christ qui fut, il y a quatorze ans ravi jusqu'au troisième ciel (si ce fut dans son corps je ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait). Et je sais que cet homme fut enlevé au paradis et qu'il entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme d'exprimer ». De cette glorieuse expérience l'apôtre des gentils a tiré de nouvelles conclusions sur ses idées remarquables relatives au corps spirituel. - (Note d'Emmanuel)À peine s'était-il éveillé de cet éblouissement qu'il se sentit captif de nouvelles surprises avec quelqu'un qui avançait légèrement et approchait doucement. Encore quelques instants et il avait Etienne et Abigail devant lui, jeunes et beaux, vêtus d'habits si brillants et si blancs qu'ils ressemblaient davantage à des péplos de neige translucide.
Incapable de traduire les commotions sacrées de son âme, Saûl de Tarse s'est agenouillé et se mit à pleurer.
Le frère et la sœur, qui revenaient pour l'encourager, s'approchèrent avec un généreux
sourire.
- Lève-toi, Saûl ! - a dit Etienne avec une profonde bonté.
Que se passe-t-il ? Tu pleures ? - a demandé Abigail sur un ton plein de douceur. - Serais-tu découragé quand la tâche commence à peine ?
Le jeune tarsien, maintenant debout, s'est effondré en sanglots. Ces larmes ne soulageaient pas seulement un cœur abandonné au monde. Elles témoignaient d'une joie infinie, d'une gratitude immense pour Jésus, toujours prodigue de protection et de bienfaits. Il voulut s'approcher, baiser les mains d'Etienne, supplier son pardon pour l'infâme passé, mais ce fut le martyr du « Chemin » qui, dans la lumière de sa résurrection glorieuse, s'est approché de l'ex-rabbin et l'a étreint avec ferveur, comme il l'aurait fait à un frère bien-aimé. Puis, il lui a baisé le front et il a murmuré avec tendresse :
Saûl, ne t'arrête pas au passé ! Qui, en ce monde, n'a pas commis d'erreurs ? Seul Jésus a été pur !...
L'ex-disciple de Gamaliel se sentait plongé dans un véritable océan de bonheur. Il aurait voulu parler de ses joies infinies, remercier de tels présents, mais une invincible émotion lui scellait les lèvres et le confondait. Soutenu par Etienne qui lui souriait en silence, il vit Abigail plus beËe que jamais, lui rappelant les fleurs du printemps de l'humble maison du chemin de Joppé. Il n'a pu éviter les réflexions de l'homme qu'il était, oublier ses rêves déchus, ils lui revenaient en mémoire par-dessus tout en cette glorieuse minute de sa vie. Il a pensé au foyer qu'il aurait pu avoir ; à l'affection avec laquelle la jeune fille de Corinthe se serait occupée de ses enfants aimants ; de l'amour irremplaçable que son dévouement aurait pu lui donner. Mais, comprenant ses plus intimes pensées, la fiancée spirituelle s'est approchée, a pris sa main droite toute calleuse des travaux rudes du désert et lui dit avec émotion :
Nous ne serons jamais sans foyer... Nous en aurons un dans le cœur de tous ceux qui seront sur notre route. Quant aux enfants, nous avons la famille immense que Jésus nous a confiée dans sa miséricorde...
Les enfants du Calvaire sont les nôtres aussi... Ils sont partout à attendre l'héritage du Sauveur.
Le jeune tarsien a compris l'affectueux avertissement le gardant en son for intérieur.