Parcourant de longues galeries, ils se retrouvèrent devant un homme relativement jeune, allongé sur un large divan, qui laissait percevoir un abattement extrême. Maigre, pâle, il révélait un singulier désenchantement pour la vie. Le proconsul apparentait, néanmoins, une bonté immense dans la douce irradiation de son humble regard mélancolique.
Il reçut les missionnaires avec beaucoup de sympathie et leur présenta un mage juif du nom de Barjésus qui le soignait depuis longtemps. Prudemment, Serge Paul fit ordonner que les gardes et les serviteurs se retirent. Il ne restait plus qu'eux quatre, dans une certaine intimité, et le malade leur parla avec une amère sérénité :
Messieurs, de nombreux amis m'ont donné des nouvelles concernant vos succès dans la ville de Neapaphos. Vous avez guéri des maladies dangereuses, rendu la foi à un grand nombre, consolé de misérables souffrants... Depuis plus d'un an, je soigne ma mauvaise santé. Dans ces conditions, je suis presque inutile à la vie publique.
Indiquant Barjésus qui, à son tour, fixait de son regard malicieux les visiteurs, le chef romain a continué :
Depuis longtemps j'ai engagé les services de votre compatriote, soucieux et confiant en la science de notre temps, mais les résultats ont été insignifiants. J'ai ordonné de vous faire appeler, désireux d'expérimenter vos connaissances. Ne trouvez pas mon attitude étrange. Si je l'avais pu, je serais allé vous voir en personne car je connais les limites de mes prérogatives ; mais comme vous le voyez, Je ne suis avant tout qu'un nécessiteux.
Saûl écoutait ces déclarations, profondément ému par la bonté naturelle de l'illustre patient. Barnabe était stupéfait, sans savoir quoi dire. Mais l'ex-docteur de la Loi, maître de la situation et presque sûr que le personnage était le même que celui qui figurait dans l'existence du martyr victorieux, prit la parole et dit convaincu :
Noble proconsul, nous avons effectivement en nous le pouvoir d'un grand médecin. Nous pouvons guérir quand les malades sont prêts à le comprendre et à le suivre.
Mais qui est-il ? - a demandé le patient.
Il s'appelle le Christ Jésus. Sa parole est sacrée -continua le tisserand avec insistance - et cherche à traiter, avant tout, la cause de tous les maux. Comme nous le savons, tous les corps sur terre devront mourir. Ainsi, conformément aux lois naturelles inéluctables, jamais nous n'aurons en ce monde, la santé physique absolue. Notre organisme souffre de l'action de tous les processus ambiants. La chaleur dérange, le froid nous fait trembler, l'alimentation nous modifie, les actes de la vie déterminent le changement de nos habitudes. Mais le Sauveur nous enseigne à chercher une santé plus réelle et plus précieuse qui est celle de l'esprit. En la possédant, nous aurons transformé les causes d'inquiétude de notre vie, et nous serons habilités à jouir d'une relative santé physique que le monde peut offrir dans ses expressions transitoires.
Tandis que Barjésus, ironique et souriant, l'écoutait dans un premier temps, Serge Paul accompagnait la pensée de l'ex-rabbin, attentif et ému :
Mais alors comment trouver ce médecin ? - a demandé le proconsul, plus inquiet par sa guérison que par le sens métaphysique élevé des commentaires entendus.
Il est la bonté en personne - a déclaré Saûl de Tarse - et son action réconfortante est de toute part. Avant même que nous le comprenions, il nous entoure de l'expression de son amour infini !...
Observant l'enthousiasme avec lequel le missionnaire tarsien parlait, le chef politique de Neapaphos chercha l'approbation de Barjésus d'un regard interrogateur.
Le mage juif qui démontrait un profond dédain, s'exclama :
Nous pensions que vous étiez pourvus d'une nouvelle science... Je ne peux croire ce que j'entends. Supposeriez-vous que je suis ignorant concernant le faux prophète de Nazareth ? Vous osez franchir le palais d'un gouverneur, au nom d'un misérable charpentier ?
Saûl mesura toute l'extension de ces ironies et répondit sans s'intimider :
Ami, quand je portais le masque pharisien, moi aussi je pensais de cette manière ; mais maintenant que je connais la glorieuse lumière du Maître, le Fils du Dieu vivant !...
Ces mots furent prononcés avec une si grande conviction que le charlatan Israélite lui- même devin livide. Barnabe était pâle, tandis que le noble patricien observait le brûlant prédicateur avec un intérêt évident. Après une angoissante attente, Serge Paul a repris la parole :
Je n'ai pas le droit de douter de qui que ce soit tant que des preuves concluantes ne m'amènent pas à le faire.
Et cherchant à fixer le visage de Saûl qui affrontait son regard incisif, il poursuivit calmement :
Vous parlez de ce Christ Jésus et me remplissez d'étonnements. Vous alléguez que sa bonté nous assiste avant même que nous le connaissions. Comment avoir une preuve concrète d'une telle affirmation ? Si je ne comprends pas le Messie dont vous êtes les messagers, comment puis-je savoir si son assistance m'a un jour été donnée ?