Il s'est encore un peu attardé à Éphèse et fit son possible en faveur des prisonniers. Il réussit à obtenir leur libération et décida de quitter l'Ionie dans les plus brefs délais. Il était, néanmoins, profondément accablé. Il se disait que les dernières luttes avaient beaucoup diminué ses forces. En compagnie de quelques amis, il s'est dirigé vers Troas où il s'est arrêté quelques jours, édifiant les frères dans la foi. Sa fatigue, pourtant, s'accentuait de plus en plus. Les préoccupations l'irritaient. Il ressentait au fond une profonde désolation que l'insomnie aggravait au quotidien. Paul, qui n'avait jamais oublié la tendresse des frères de Philippes, décida alors d'y trouver un refuge, soucieux de se reposer pendant un temps. L'apôtre fut accueilli avec d'évidentes preuves d'affection et de considération. Les enfants de l'institution redoublèrent leurs démonstrations d'affectueuse tendresse. Une autre surprise agréable l'attendait là : Luc se trouvait accidentellement en ville et vint le saluer. Cette rencontre ranima son esprit abattu. À la vue de son ami, le médecin fut alarmé. Paul lui a semblé extrêmement faible et triste, malgré la foi inébranlable qui nourrissait son cœur et débordait de ses lèvres. Celui-ci expliqua qu'il avait été malade, qu'il avait beaucoup souffert des dernières prédications à Éphèse, qu'il était seul à Philippes après le départ de quelques amis qui l'avaient accompagné et que les collaborateurs les plus fidèles étaient partis pour Corinthe où ils l'attendaient.
Très surpris, Luc a tout entendu calmement et lui a demandé :
Quand partiras-tu ?
Je prétends rester ici deux semaines.
Et après avoir balayé de son regard le paysage, il a conclu presque sur un ton d'amertume :
D'ailleurs, mon cher Luc, je pense que c'est la dernière fois que je me repose à Philippes...
Mais, pourquoi ? Il n'y a pas de raisons pour des pressentiments aussi tristes.
Paul a remarqué l'inquiétude de son ami et s'est dépêché d'effacer ses premières impressions :
Je pense partir pour l'Occident - a-t-il dit avec un sourire.
Très bien ! - a répondu Luc ravi. - Je vais finir ce que j'ai à faire ici et je partirai avec toi pour Corinthe.
L'apôtre s'en réjouit. Il était enchanté de la présence d'un compagnon des plus dévoués. Luc aussi était satisfait à l'idée de l'assister dans son voyage. Avec beaucoup d'efforts, il chercha à dissimuler la pénible impression que la santé de l'apôtre lui avait causée. Très maigre, le visage pâle, les yeux profonds, l'ex-rabbin donnait l'impression d'une grande misère organique. Le médecin, néanmoins, fît son possible pour cacher ses fâcheuses conjectures.
Comme d'habitude durant tout le voyage jusqu'à Corinthe, Paul de Tarse a parlé du projet d'arriver à Rome pour apporter à la capitale de l'Empire le message de l'amour du Christ Jésus. La compagnie de Luc, le changement de paysages revigoraient ses forces physiques. Le médecin lui-même était surpris par la réaction naturelle de cet homme d'une puissante volonté.
En chemin, à travers les prédications occasionnelles du long itinéraire, quelques compagnons plus dévoués se sont Joints à eux.
De retour à Corinthe, l'ex-rabbin a ratifié ses épîtres, a réorganisé avec amour le programme des services de l'église et dans le cercle plus restreint on ne parlait pas d'autre chose que du projet grandiose de visiter Rome, afin d'assister les chrétiens déjà présents dans la ville des Césars à fonder des institutions semblables à celles de Jérusalem, d'Antioche, de Corinthe et de bien d'autres centres plus importants de l'Orient. Pendant cet intervalle de temps, il a ainsi pu restaurer les énergies latentes de son organisme affaibli. Il s'affairait à la tâche, coordonnant sans cesse des idées concernant le programme visé dans la métropole impériale. Il prit de nombreuses dispositions. Il voulut préparer son arrivée en la faisant précéder d'une lettre dans laquelle il récapitulait la doctrine réconfortante de l'Évangile et citait, avec des salutations affectueuses, tous les frères de sa connaissance présents dans l'environnement romain. Aquiles et Prisca étaient retournés d'Éphèse à la capitale de l'Empire dans l'intention de recommencer leur vie. Ce seraient des assistants estimés. À ces fins, Paul employa plusieurs jours à la rédaction du célèbre document qu'il termina par de nombreuses salutations personnelles et générales. C'est alors qu'eut lieu un épisode peu connu des partisans du christianisme. Considérant que tous ses frères et prédicateurs étaient des créatures excessivement occupées aux tâches les plus diverses et que Paul aurait du mal à trouver un porteur pour la célèbre lettre, la sœur du nom de Phoebé, grande coopératrice de l'apôtre des gentils au port de Cenchrées, l'informa qu'elle devait se rendre à Rome en visite chez des parents, et s'offrait volontiers à porter le document destiné à illuminer la chrétienté à venir.