J'ai une grande expérience de ces marches en plein soleil. J'ai passé ma jeunesse à conduire des chameaux à travers les déserts de l'Arabie. Mais, je n'ai jamais vu un malade dans ces parages avec ces caractéristiques - la fièvre de ceux qui tombent exténués en chemin ne se manifeste pas par du délire et des larmes. Le patient tombe abattu, sans la moindre réaction. Or ici, nous avons observé notre patron parler avec un homme invisible pour nous. J'hésite à accepter cette hypothèse, mais je crains que, dans tout cela, résident les signes des sorcelleries du « Chemin », les partisans du charpentier ont des pratiques magiques que nous sommes loin de comprendre. Nous n'ignorons pas que le docteur s'est consacré à la tâche de les persécuter où qu'ils se trouvent. Qui sait s'ils n'ont pas prévu de se venger de lui cruellement ? Si j'ai accepté de venir à Damas, c'était justement pour fuir mes parents qui semblent séduits par ces nouvelles doctrines. Où a-t-on vu guérir la cécité par la simple imposition des mains ? Et pourtant, mon frère a été guéri par le célèbre Simon Pierre. Seule la sorcellerie, à mon avis, éclaircirait ces choses. À voir tant de faits mystérieux dans ma propre maison, j'ai eu peur de Satan et je me suis enfui.
Replié sur lui-même, surpris au milieu des sombres ténèbres qui l'entouraient, Saùl écoutait les commentaires de ses amis et se sentait très faible, comme s'il était épuisé et aveugle après une immense défaite.
Essuyant ses larmes, il a appelé l'un d'eux avec une grande humilité. Ils ont tous répondu à son appel avec sollicitude.
Que s'est-il passé ? - a demandé Jacob troublé et soucieux. - Nous nous inquiétons pour vous. Êtes-vous malade, Seigneur ?... Nous vous apporterons ce dont vous avez besoin...
Saûl fit un geste triste et ajouta :
Je suis aveugle.
Mais comment cela ? - a demandé l'autre abasourdi.
J'ai vu Jésus nazaréen ! - a-t-il dit repenti, complètement transformé.
Jonas fit un signe significatif comme pour démontrer à ses compagnons qu'il avait raison, alors qu'ils se regardaient tous perplexes. Immédiatement, ils se sont dit que le jeune rabbin était perturbé. Jacob, qui était le plus proche, prit l'initiative des premières mesures et
Seigneur, nous déplorons votre maladie, mais nous devons savoir ce que nous faisons de la caravane.
Le docteur de Tarse, néanmoins, révélait une humilité qui ne combinait pas du tout avec son style dominateur, il versa une larme et finit par dire avec une profonde tristesse :
Jacob, ne t'inquiète pas pour moi... Pour ce que j'ai à faire, je dois arriver à Damas sans plus tarder. Quant à vous... - et la voix hésitante s'est péniblement arrêtée, comme dominée par une grande angoisse, puis finit par conclure sur un ton amer -, faites comme bon vous semble car jusqu'à présent, vous étiez mes serviteurs, mais à partir de maintenant, moi aussi je suis un esclave, je ne m'appartiens plus à moi-même.
À cette voix humble et triste, Jacob se mit à pleurer. Il était sûr que Saûl était devenu fou. Il a appelé ses deux compagnons à part et leur expliqua :
Vous retournerez à Jérusalem avec la triste nouvelle, tandis que je me dirigerai vers la ville toute proche avec le docteur pour m'en occuper au mieux. Je le mènerai chez ses amis et nous demanderons l'aide d'un médecin... Je le trouve extrêmement troublé...
Le jeune rabbin fut informé des décisions prises presque sans surprise. Il a passivement accepté l'intention de l'employé. À cette heure, alors qu'il était plongé dans les ténèbres sombres et profondes, son imagination était pleine de conjectures transcendantes. Sa soudaine cécité ne l'affligeait pas. Dans cette obscurité qui remplissait ses yeux charnels, semblait émerger la figure radieuse de Jésus de ses yeux spirituels. Ses perceptions visuelles avaient juste cessé, afin de conserver, pour toujours, le souvenir de la glorieuse minute de sa transformation en une vie plus sublime.
Saûl reçut les commentaires de Jacob avec l'humilité d'un enfant. Sans plainte, ni résistance, il a entendu trotter la caravane qui prenait le chemin du retour, tandis que le vieux serviteur lui offrait un bras amical, pris d'une infinie appréhension.
Alors que des larmes coulaient de ses yeux inexpressifs comme perdus dans une vision insondable, absent le fier docteur de Tarse, guidé par Jacob, a suivi à pied sous le soleil brûlant des premières heures de l'après-midi.