— Nous ne pourrons pas passer, décida Gauthier entraînant Catherine vers l'endroit où elle avait attaché les chevaux. Il faut cacher les bêtes, nous cacher nous- mêmes, attendre. Quand ils auront tout brûlé... ils s'en iront sans doute. Le tout est de savoir si ce village est important. En avez-vous une idée, Dame Catherine ?
La jeune femme fronça les sourcils, rassemblant ses souvenirs.
— Ce doit être Coupray... ou Montribourg.
— De gros villages ?
— Encore assez ! Deux cents âmes, peut-être.
— Hum ! Ça peut être long. De toute façon, il faut attendre, rien que pour voir de quel côté se dirigera l'incendie, car il n'y a pas que le village. La forêt elle aussi brûle...
Les chevaux dissimulés dans un fourré, ils s'étaient eux-mêmes cachés dans le taillis voisin et depuis ils attendaient, le cœur serré, l'âme au supplice, que ce village ait fini de mourir...
L'orage se rapprochait mais n'éclatait pas vraiment. De grands éclairs livides balayaient le ciel qui grondait presque sans interruption, mais il ne tombait pas une seule goutte d'eau.
— Si seulement il pleuvait ! marmonna Gauthier. On aurait une chance de voir s'éteindre ce feu. Le vent le pousse juste dans la mauvaise direction. Il nous barre déjà la route qui nous permettrait de contourner le village. De l'autre côté, il y a la rivière et elle semble rapide, dangereuse.
— Mieux vaut risquer la noyade que tomber aux mains de ces gens-là, protesta Bérenger.
Catherine ne disait rien. A travers les arbres, elle regardait s'agiter des lueurs inquiétantes, tandis que les cris et les jurons se rapprochaient.
— Quelqu'un a dû s'enfuir, souffla-t-elle. Écoutez ! On le poursuit... Mon Dieu ! Ils viennent par ici !...
— A cheval ! décida Gauthier. Nous ne pouvons plus rester là et le choix est tout fait : il faut traverser !
— Cela ne sera pas facile. On voit la berge de l'autre côté. Elle est presque abrupte.
— Nous traverserons en diagonale. Regardez là-bas, Un peu avant le coude de la rivière, il y a une petite grève.
En effet, au ras de l'eau éclairée par les reflets des brasiers, un mince croissant pâle se dessinait au bas d'une pente herbeuse.
Catherine, cependant, le considéra avec méfiance.
— Ne croyez-vous pas qu'en abordant là-bas nous serons en vue du village ?
— Peut-être, mais il n'est pas certain tout de même que l'on nous voie. Et puis, pour nous atteindre, ces bandits devront eux aussi traverser : pendant ce temps nous prendrons le large. Évidemment...
nous avons encore la ressource de revenir sur nos pas...
Il se retourna et eut une exclamation de rage :
-— Par tous les diables de l'enfer !... Non, nous ne pouvons plus retourner... Par là aussi, ça flambe.
En effet, droit dans la direction d'où ils étaient venus, un nouvel incendie allumait une autre aurore infernale.
— Il faut y aller, dit Catherine. Sinon nous allons être encerclés !
A la grâce de Dieu !
Silencieusement, ils reprirent leurs montures. En passant auprès du cadavre que les garçons avaient hâtivement recouvert de branchages, la jeune femme se signa et retint un frisson. Puis, avec précaution, les trois voyageurs firent descendre leurs chevaux dans la rivière. Les courageuses bêtes se mirent à nager vigoureusement pour lutter contre le courant et le remonter, tandis que leurs cavaliers veillaient à leur tenir la tête hors de l'eau.
Les coups de tonnerre qui se succédaient et le vacarme du village investi couvraient amplement le bruit qu'ils faisaient en nageant.
La petite grève approchait. Déjà, les sabots des chevaux quittant l'eau profonde râpaient le lit de la rivière.
— Nous avons réussi à nous maintenir hors des traînées lumineuses, fit Gauthier avec satisfaction. C'est une chance et...
Il n'acheva pas sa phrase. D'un seul coup, la prairie qui dominait la grève et les taillis qui l'entouraient parurent s'enflammer. Une troupe d'hommes dont certains portaient des torches déboucha d'une futaie, se dirigeant vers une ferme fortifiée qui couronnait le coteau et que Catherine vit trop tard. Mais, en un instant, les voyageurs se trouvèrent dans la lumière.
— Hé ! cria l'un des routiers. Voyez un peu ce qu'il y a dans la rivière !
En poussant des hurlements sauvages, ils dévalèrent la petite prairie.
— Nous sommes perdus ! gémit Catherine.
— Si ces gens-là sont au roi Charles, nous avons peut-être une chance, cracha Gauthier avec mépris. Les loups ne se mangent pas entre eux !
— Jeune imbécile ! Les Ecorcheurs ne sont à personne qu'à eux-mêmes.
Tout en parlant, ils avaient essayé de faire tourner leurs montures et de les diriger de nouveau dans le lit de la rivière pour les lancer dans le courant, mais il était déjà trop tard.