— Allah ! grogna-t-elle. Mes os craquent comme un sarment dans le feu ! Qu'est-ce qui t'a pris, Lumière de l'Aurore, de tenir tête à la redoutable Zobeïda ? En vérité, je m'étonne que tu vives encore !
Faut-il que la nuit passée ait été douce à notre princesse pour qu'elle soit si magnanime !
Ces mots trop évocateurs étaient plus que Catherine n'en pouvait endurer.
— Va-t'en ! gronda-t-elle entre ses dents serrées. Va-t'en !
Disparais de mes yeux si tu ne veux pas que le Calife. Entende parler de toi à son retour...
— Qu'est-ce qui te prend ? s'étonna la vieille Juive. Je ne t'ai rien dit d'offensant.
— Je veux la paix, tu m'entends ? La paix ! Disparais et ne reviens que si je t'appelle ! Je t'ai déjà dit que je voulais dormir : Dormir !
C'est clair ?
— C'est bon, c'est bon, je m'en vais...
Impressionnée, malgré elle, par le ton exaspéré de la nouvelle favorite, Morayma jugea plus prudent de s'esquiver.
Demeurée seule avec sa colère, Catherine ne perdit cependant pas de temps à lui donner libre cours. Attirant la corbeille de fruits, elle se mit en devoir de la vider, empilant les fruits sur son lit. Il y en avait une belle quantité et il lui fallut aller jusqu'au fond pour trouver ce qu'elle cherchait sans savoir ce que cela pouvait être. Abou-al-Khayr était un homme prudent.
Contre la vannerie dorée du panier, Catherine trouva trois choses dont l'une, au moins, lui arracha une exclamation de joie : sa chère dague à l'épervier, la compagne fidèle de ses jours les plus difficiles.
Deux autres objets l'accompagnaient, une petite fiole de verre enchâssée dans un étui d'argent et une lettre qu'elle se hâta de lire.
« Quand le voyageur s'introduit dans la profonde forêt où grondent les fauves, il lui faut une arme pour défendre sa vie. Tu as commis une grande folie en t'éloignant sans mon avis car j'aurais souhaité pour toi un destin moins éclatant... mais moins exposé. Mais celui qui veut se dresser contre la volonté d'Allah est un insensé et tu as seulement suivi ton destin. Tes serviteurs veillent sur toi de loin. Josse a pu entrer dans la garde du vizir. Il loge maintenant à l'Alcazaba, près du palais. Mais Gauthier a grand-peine à jouer le rôle de serviteur muet que je lui impose auprès de moi. Il me suit partout et je pense rendre de nombreuses visites au Commandeur des Croyants lorsqu'il sera de retour. Jusque-là, ne brusque rien. La patience, elle aussi, est une arme.
« Quant au flacon, il contient un poison rapide. Le sage prévoit toujours qu'il peut échouer... et les bourreaux mongols de la princesse savent trop bien comment jouer des symphonies de souffrance sur les pauvres harpes humaines... »
Il n'y avait, bien entendu, aucune signature. Catherine se hâta de brûler la lettre sur les charbons du grand brûle-parfum de bronze posé au centre de la pièce. Elle était écrite en français, mais ce palais recelait trop de surprises pour ne pas la détruire... Catherine regarda le papier de coton se tordre, noircir et se changer en une fine cendre.
Elle se sentait infiniment mieux, l'esprit plus libre, plus léger.
Maintenant qu'elle était armée, les chances lui semblaient plus égales puisqu'elle avait le pouvoir de frapper cette arrogante Zobeïda et l'arracher définitivement des bras d'Arnaud, quitte à la suivre aussitôt dans la mort.
Serrant contre son cœur l'acier froid de l'arme, Catherine se laissa glisser de nouveau sur ses coussins. Il lui fallait réfléchir posément à ce qui allait suivre !...
Accroupie sur un énorme coussin de cuir brodé, Marie, la jeune odalisque française, suçait un sorbet à la rose avec des grâces de jeune chat. Elle observait silencieusement Catherine qui, étendue à plat ventre, le menton dans ses paumes, réfléchissait sombrement à son sort. À cette heure de la sieste, le palais tout entier était plongé dans le silence et le repos. Seules bougeaient un peu les esclaves chargées d'agiter les immenses éventails de plumes au-dessus des belles endormies. Dans l'air brûlant du dehors, les plantes elles-mêmes semblaient pétrifiées.
La visite de Zobeïda, vieille maintenant de trois jours, avait anéanti tous les projets de Catherine. Non contente de lui interdire l'approche de ses appartements, la princesse avait pris des dispositions spéciales concernant sa voisine.
En effet, quand la jeune femme avait voulu quitter son appartement pour se rendre au jardin avec ses suivantes, elle avait vu soudain deux lances se croiser devant elle tandis qu'une voix gutturale lui intimait l'ordre de rentrer dans sa chambre. Et, comme elle s'insurgeait contre cette claustration forcée, l'eunuque chargé spécialement de sa surveillance lui avait appris qu'en l'absence du Calife la très précieuse favorite devait être surveillée jours et nuits de crainte qu'il ne lui arrivât malheur.
— Malheur ? Dans ce jardin ?
— Le soleil brûle, l'eau noie, les insectes piquent et la vipère porte la mort ! avait répliqué le Noir sans s'émouvoir. Les ordres sont formels. Tu dois demeurer chez toi.
— Jusqu'à quand ?