La chambre, o`u je t’'ecris, est le cabinet de mon p`ere, la chambre m^eme, o`u il est mort. A c^ot'e est sa chambre `a coucher, o`u il n’est plus entr'e. Derri`ere moi est le canap'e foncant l’encoignure, o`u il s’est couch'e pour ne plus se relever. Tout autour de la chambre sont de vieux portraits bien connus de mon enfance et qui ont rien moins vieilli que moi. En face de moi est cette vieille relique de maison que nous avons jadis habit'ee et dont il ne reste plus que le corps du logis que mon p`ere avait pieusement fait conserver, pour qu’un jour, `a mon retour dans le pays, je puisse encore retrouver quelque trace, quelque d'ebris de notre existence d’autrefois… En effet, dans le premier moment de mon arriv'ee j’ai eu un souvenir tr`es vif et comme une r'ev'elation de ce monde enchant'e de l’enfance, depuis si longtemps ab^im'e et an'eanti — l’ancien jardin, 4 gros tilleuls, tr`es connus dans les environs, une assez ch'etive all'ee d’une centaine de pas de long et qui me paraissait incommensurable, tout ce magnifique univers de mon enfance, si peupl'e et si vari'e — tout cela renferm'e dans un enclos de quelques pieds carr'es… enfin j’ai 'eprouv'e l`a pendant quelques instants ce que tant de milliers d’^etres semblables `a moi ont 'eprouv'e en pareille occurence, ce que tant d’autres 'eprouveront apr`es moi et ce qui apr`es tout n’a de valeur que pour la personne qui le ressent et aussi toujours qu’elle est sous le charme… Mais tu penses bien que le charme n’a pas tard'e `a s’'evanouir et que l’'emotion est all'ee bien vite s’'eteindre dans un sentiment d’ennui complet et d'efinitif… Heureusement on est venu me remettre ta lettre, arriv'ee ici trois ou quatre jours avant moi et qui m’attendait aimablement sur le seuil pour me souhaiter la bienvenue.
Le voyage a 'et'e fastidieux, sans ^etre fatigant, les chemins passables, les g^ites de m^eme. Comme nous avons couch'e toutes les nuits, nous ne sommes arriv'es ici que le cinqui`eme jour… Cette fois, en passant par Kalouga, je n’ai pu m’arr^eter pour voir Mad. Smirnoff, mais je compte bien le faire `a mon retour… Sa vue qui me serait agr'eable en tout lieu et en toute circonstance, me le sera doublement `a mon retour du pays des ombres…
C’est aujourd’hui samedi, le 31 ao^ut. Je partirai `a coup s^ur le 4 ou 5 septembre et j’esp`ere ^etre rendu `a Moscou vers le 10, o`u je ne compte rester que tout juste le temps n'ecessaire pour prendre des places dans la malle-poste qui doit me ramener aupr`es de toi… Si bien qu’entre le 15 ou le 18, j’esp`ere, Dieu aidant, avoir accompli la laborieuse t^ache que je me suis impos'e. Mais il est entendu qu’`a mon arriv'ee `a Moscou j’y trouverai une lettre de toi. Ceci est de rigueur…
Pour ce qui est des affaires, elles sont, autant que je puis en juger, dans un 'etat satisfaisant. L’intendant charg'e de la r'egie, ce Basile, dont on t’a souvent parl'e est en effet une bonne, honn^ete et d'evou'ee cr'eature qui m'erite, je crois, toute confiance. Le partage aura lieu dans le courant de l’hiver*
, en attendant l’argent qui est en caisse sera partag'e par moiti'e. Quant au revenu d'efinitif, il sera pour la part de chacun de quinze `a vingt mille roublesAdieu, ma chatte ch'erie, je ne perds pas l’espoir d’avoir de tes nouvelles avant mon d'epart d’ici, il me tarde de savoir tes faits et gestes depuis
Adieu, j’embrasse les enfants et beaucoup leur m`ere.
Овстуг. 31 августа 1846
Милая моя кисанька, мне кажется, словно я пишу тебе с противоположного конца земли, и наивной представляется мысль, будто клочок бумаги, лежащий у меня под рукою, когда-нибудь до тебя дойдет — до такой степени я чувствую себя как бы на самом дне бездны…
А между тем я окружен вещами, которые являются для меня самыми старыми знакомыми в этом мире, к счастью, значительно более давними, чем ты… Так вот, быть может, именно эта их давность сравнительно с тобою и вызывает во мне не особенно благожелательное отношение к ним. Только твое присутствие здесь могло бы оправдать их. Да, одно только твое присутствие способно заполнить пропасть и снова связать цепь.