Je ne veux pas laisser finir l’année, chers papa et maman, sans me rappeler à votre souvenir. Puisse celle qui commence être bonne et heureuse pour nous tous et ne pas s’écouler sans nous avoir vus réunis. C’est là mieux que le vœu que je forme, c’est un espoir que j’exprime. Nicolas qui vous a écrit avant de quitter Vienne nous est revenu depuis quelques semaines. Il s’était fort ennuyé à Vienne, faute de société, et comme il en trouve ici, autant et plus qu’il ne lui en faut, le séjour de Munic jusqu’à présent du moins paraît lui convenir beaucoup. Sous le rapport de la dépense, il est de moitié moins cher que celui de Vienne. Nicolas a été présenté avant-hier au Roi et le sera dans le courant de la semaine au reste de la Famille Royale, dont la plus grande partie le connaissait déjà. Je vous donne ces détails à son sujet au lieu de lui laisser le faire à lui-même, parce que je prévois que je serai obligé d’expédier cette lettre avant qu’il ne se soit décidé à prendre résolument la plume. Je dis ceci avec l’accent de la plus parfaite conviction, car je ne puis parler de sa paresse épistolaire, sans faire le plus triste retour sur moi-même. C’est par Nicolas que j’ai eu la nouvelle de l’état de grossesse de Dorothée. Dites-lui, bien chère maman, tous les vœux que je forme pour elle et les espérances que je rattache à l’heureuse issue de sa grossesse, tant dans l’intérêt de sa santé que pour son bonheur à venir. Mille amitiés aussi à son mari, supposé qu’il se souvienne de moi.
Je vous ai déjà informés dans ma dernière lettre que je me suis décidé à l’Institut de Munich deux de mes petites, Daria et Kitty. Elles y sont depuis le 1er
d’octobre et maintenant qu’elles ont surmonté ce que le noviciat en ait de pénible, elles se trouvent fort bien de leur nouvelle position. Nous allons les voir les dimanches, car sauf quelques cas d’exception le règlement de l’Institut interdit la sortie aux élèves. Cependant l’autre jour, le jour de la St-Nicolas*, je les ai fait venir chez moi au sortir de la messe grecque. Quant à la petite Marie, je puis dire sans vanité que c’est une très gentille enfant. C’est bien aussi l’avis de Nicolas qui lui porte une très grande tendresse et se fait même aimable pour lui plaire. Mais je n’ai presque pas le courage de vous parler à mon intérieur, en pensant à la bizarrerie du sort qui l’a fixé dans un monde qui est si loin de vous et qui vous est si étranger. C’est là pour moi un sujet d’éternels regrets, c’est là un désaccord dans ma destinée qui se fait péniblement sentir à tous les moments de ma vie et mêle de l’amertume à mon bonheur même. Ce qui m’est surtout pénible, c’est l’idée que vous ne connaissez pas ma femme et que selon toute apparence vous ne la connaîtrez jamais. D’autres vous diront que c’est une des femmes les plus gracieuses qu’ils en ont rencontrées, mais moi qui depuis neuf ans suis en possession de toutes ses affections, je ne puis dire rien d’elle, sinon qu’il faut la connaître, comme je la connais, pour croire à la possibilité d’une nature comme la sienne.Vous ai-je dit que j’ai revu dernièrement Madame de Krüdener et son amie Annette Chérémétieff avec laquelle j’ai été charmé de renouveler la connaissance. Malgré le changement survenu dans sa destinée, je l’ai retrouvée parfaitement la même, comme je l’ai connu en 1837 à Pétersbourg, c’est-à-d