Nous attendons avec une vive impatience des nouvelles de la délivrance de Dorothée*
. Dieu veuille que ce moment soit déjà passé et que vous soyez, chers papa et maman, délivrés de ce pénible sentiment d’anxiété qui accompagne pareille attente. Je sais par expérience ce qu’elle a de cruel et, malgré la répétition, je n’ai jamais pu m’y aguerrir. C’est dans quatre à cinq semaines, c’est-à-d dans les premiers jours du mois de mai n st que mon frère et moi nous comptons nous mettre en route. Je serais même parti plutôt sans arrivée de la Grande-Duchesse Marie qui est attendue ici le mois prochain et que je serais fâché de manquer. Elle m’a témoigné beaucoup de bienveillance dans le temps, à moi aussi bien qu’à mes enfants, et j’ai su depuis que même à Pétersbourg elle s’est exprimée sur mon compte d’une manière parfaitement gracieuse. De plus j’attends dans une quinzaine de jours les Maltitz qui doivent me ramener Anna qui me demande à cor et à cri d’être placée à l’Institut pour se trouver plus rapprochée de moi et d’être réunie à ses sœurs*. Après avoir hésité quelque temps j’ai, de l’avis même des Maltitz, fini par céder à son désir qui, après tout, n’a rien de déraisonnable. Mais dès les premiers jours du mois de mai tous mes arrangements seront terminés, et j’ai toute confiance que je pourrai me mettre en route à cette époque. Maintenant, chers papa et maman, il s’agit de savoir où je vous trouverai? Je vous avouerais que je m’estimerais fort heureux, si vous pouviez vous décider à prolonger à une couple de mois votre séjour à Moscou. Il est bien entendu que je ne vous adresse cette demande que dans la supposition qu’elle n’a rien de trop contraire à vos projets et que vous pouviez me l’accorder sans vous imposer la moindre gêne. Pour moi un pareil arrangement aurait tout plein d’avantages dont le plus grand serait de pouvoir passer plus de temps avec vous. Dans ce cas je prendrai mon chemin par Pétersbourg, où je ne m’arrêterai à mon arrivée que quelques jours, juste le temps nécessaire pour reconnaître le terrain et surtout pour faire acte de présence auprès des personnes dont il m’importe d’avoir été vu. Cela fait, je pourrai avec une entière clarté d’esprit me livrer tout entier au bonheur de vous revoir et de vivre quelque temps auprès de vous. Oui, ce sera un grand bonheur pour moi que de vous revoir après les cinq années de séparation qui ont été si remplies et si cruellement mélangées.