Ma chatte chérie, enfin après bien des délais et des hésitations sans nombre nous sommes, je crois, sur le point de partir pour la campagne. Encore un peu, et j’allais y renoncer… Mais sais-tu ce qui m’a décidé? Voilà plusieurs jours que je n’ai plus de lettres de toi, et d’après ce que tu me dis dans ta dernière, j’ai beau de croire que j’en trouverai à
En vérité, je ne sais trop dans quel but je vais faire le voyage en question. Dans tous les cas ce n’est pas dans l’intérêt des affaires, car j’ai appris ici que le partage du bien ne pourra guères être mis à exécution avant neuf à dix mois, et c’est ici, à Moscou, que cette affaire se fera. Ce n’est donc que par pure amitié et complaisance pour mon frère que je m’y détermine. Ce pauvre garçon est au fond si malheureux de son isolement et le sort sous ce rapport, comme pour beaucoup d’autres, m’a accordé tant d’avantages sur lui que je me serais reproché, comme un manque de générosité, de ne pas acquiescer à l’extrême désir qu’il avait que je l’accompagne dans ce voyage.
Vous voyez bien, ma chatte chérie, que c’est encore vous qui êtes au fond de cette détermination, comme de tout ce que je fais et de tout ce que je suis…
D’ailleurs, il mérite bien quelque petit sacrifice pour son propre compte pour l’amitié qu’il nous porte. Tout à l’heure encore dans le partage qu’il va se faire, il veut à toute force me faire accepter, de vue de la famille, une terre de cent et quelques paysans en sus de la part qui me revient. A mon arrivée dans l’endroit je ne manquerai pas de vous mettre au fait de l’état des affaires qui sont plus particulièrement encore les vôtres, puisque c’est patrimoine de vos fils. Et il faut que je me dise cela pour y prendre quelque intérêt.
Tout ce que tu me dis dans ta lettre de la nécessité de prendre un part définitif et de la convenance qu’il y aurait pour nous à nous établir à Moscou est parfaitement vrai et incontestable, et tu penses, si le point de vue a été goûté et opprimé de la famille. Pour ma part, je n’y fais pas la moindre objection et je ne demande pas mieux que d’employer cet hiver à préparer ce bienheureux définitif. Mais cet hiver-ci il faudra bien le passer encore à Pétersb
C’est donc une chose décidée, je pense que nous serons les hôtes de Safonoff encore pour quelques mois, et à cette occasion il serait bon d’engager le maître d’hôtel à faire sans perte de temps les provisions nécessaires pour cet hiver.
Le beau temps se soutient jusqu’à présent, et c’est ce qui me reconcilie un peu avec l’idée de ce voyage. D’ailleurs, il n’y a de vraiment déplaisant que la seconde moitié, c’est-à-d
J’ignore encore l’impression que me fera la vue du lieu natal, quitté depuis 27 ans et si peu regretté… Je crains qu’en fait de mélancolie je n’y trouve que de l’ennui. C’est qu’aucun de mes souvenirs vivants ne remonte à l’époque, où j’y ai été pour la dernière fois. Ma vie a commencé plus tard, et tout ce qui est autrui à cette vie-là, m’est aussi étranger que la veille du jour de ma naissance. Il n’est pas ainsi de toi, ma chatte chérie, dont j’aime tous les récits souvent répétés et toujours bienvenus de ta première enfance*
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