J’ai reçu hier ta lettre compromettante
du 23 août, et je me complais assez dans l’idée d’en avoir une de ce genre de toi. Au reste, sois tranquille. Elle ne verra plus le jour. Quant à la détruire, c’est une autre affaire. Déjà son mérite calligraphique devrait la mettre à l’abri d’un pareil outrage. En effet, la vue de ton écriture me réjouit de plus en plus, et je n’ai plus qu’un vœu à former, c’est que l’état de ta santé soit aussi normal que l’est l’écriture de tes lettres… Ce n’est pas que je révoque en doute les bonnes nouvelles que tu m’en donnes. Aussi n’est-ce pas du moment présent que je me préoccupe, mais bien de ce qui va arriver, lorsqu’on sera définitivement entré dans la mauvaise saison — et à la campagne elle se fait sentir beaucoup plus tôt qu’ailleurs.Tous ces jours-ci ayant été des jours de fête, la procuration ne pourra guères être expédiée avant samedi prochain, c’est-à-d avant après-demain, si bien que vous ne la recevrez que d’aujourd’hui en huit. J’aime à croire que ce retard forcé n’occasionnera pas un dommage réel. — C’est demain, 1er
septembre, que se fait le tirage, et je te promets de travailler de toutes mes forces à faire sortir tes numéros de préférence à tous autres. D’ailleurs je vous ai ménagé quelques petites chances supplémentaires. Il va se tirer ici sous les auspices de la G-D Hélène une loterie au profit du Conservatoire de Musique — dont le plus gros gain est de 35 000 r argent comptant. J’ai pensé que vous ne dédaignerez pas un pareil revenant-bon, et j’ai fait l’acquisition de trois billets, pour toi, pour Marie et p moi. Je ne manquerai pas de vous envoyer les vôtres…Hier on a fêté ici la fête de l’Empereur, il n’y avait pas mal de monde au couvent de Nevsky, le Grand-D Constantin en tête, — qui, par parenthèse, s’est trouvé mal à l’église, mais le soir je l’ai rencontré à Павловск, et il m’a paru parfaitement remis de son malaise momentané. — La veille je me suis trouvé dans ce même couvent assistant à des prières de mort pour Michel Mouravieff… dont ce jour-là était le 1er
anniversaire. Il y avait là sa cousine, son fils Léonide avec sa femme, mais sans Sophie, restée à la campagne, plus une vingtaine de personnes amies. Le temps était doux et clair, et je me disais que j’aimerais assez avoir à offrir un temps pareil aux bonnes âmes qui voudront à pareille date me faire à mon tour leur visite de nouvel an…