Ces formes politiques n'attendaient elles-m^emes, pour dispara^itre, que leur Pierre Ier
: la R'evolution francaise. Afranchi des traditions, vainqueur de la derni`ere, Pierre Ier jouissait de la plus grande libert'e. Mais son ^ame manquait de g'enie et de puissance cr'eatrice: il 'etait subjugu'e par l'Occident et il en devint le copiste. Ha"issant tout ce qui 'etait de l'ancienne Russie, bon et mauvais, il imita tout ce qui 'etait europ'een, mauvais et bon. La moiti'e des formes 'etrang`eres qu'il transplanta en Russie, 'etait compl`etement antipathique `a l'esprit du Peuple russe.Sa t^ache n'en devint que plus difficile, et cela sans aucun profit. Il aimait par instinct proph'etique la Russie de l'avenir; il caressait l'id'ee d'une puissante monarchie russe, mais il ne faisait aucun compte du Peuple. Indign'e de la stagnation et de l'apathie g'en'erales, il voulut renouveler le sang aux veines de la Russie, et, pour op'erer cette transfusion, il prit un sang, d'ej`a vieux et corrompu. Et puis, avec tout le temp'erament d'un r'evolutionnaire, Pierre Ier
fut toujours n'eanmoins un monarque. Il aimait passionn'ement la Hollande et reconstruisait sa ch`ere Amsterdam sur les bords de la N'eva, mais il empruntait fort peu de choses aux libres institutions des Pays-Bas. Non seulement il ne restreignit pas la puissance des tzars, mais il l'agrandit encore en lui livrant tous les moyens de l'absolutisme europ'een et en renversant toutes les barri`eres qu'avaient 'elev'ees jusqu'alors les moeurs et les coutumes.En m^eme temps qu'il se rangeait sous les banni`eres de la civilisation, Pierre Ier
empruntait n'eanmoins `a un pass'e, qu'il r'epudiait, le knout et la Sib'erie, pour r'eprimer toute opposition, toute parole courageuse, tout acte de libert'e.Repr'esentez-vous maintenant l'union du
L'agreste Russie se pliant `a tout en apparence, n'a r'eellement rien accept'e de cette r'eforme. Pierre Ier
sentait cette r'esistance passive; il n'aimait pas le paysan russe et n'entendait rien non plus `a sa mani`ere de vivre. Il a fortifi'e, avec une l'eg`eret'e coupable, les droits de la noblesse et resserr'e encore la cha^ine du servage; il a tent'e le premier d'organiser ces absurdes institutions; or, les organiser, c''etait en m^eme temps les reconna^itre et leur donner une base l'egale. D`es lors, le paysan russe se renferma plus 'etroitement que jamais au sein de sa commune, et ne s'en 'ecarta qu'en jetant autour de lui des regards d'efiants et en faisant force signes de croix. Il cessa de comprendre le gouvernement; il vit dans l'officier de police et le juge un ennemi; il vit dans le seigneur terrien une puissance brutale contre laquelle il ne pouvait rien faire.Il commenca d`es lors `a ne voir dans tout condamn'e qu'un
Il a beaucoup support'e, beaucoup souffert, il souffre beaucoup `a cette heure, mais il est rest'e lui-m^eme. Quoique isol'e dans sa petite commune, sans liaison avec les siens, tous dispers'es sur cette immense 'etendue du pays, il a trouv'e dans une r'esistance passive, et dans la force de son caract`ere, les moyens de se conserver; il a courb'e profond'ement la t^ete, et le malheur a pass'e souvent sans le toucher, au-dessus de lui; voil`a pourquoi, malgr'e sa position, le paysan russe poss`ede tant de force, tant d'agilit'e, tant d'intelligence et de beaut'e, qu'`a cet 'egard il a excit'e l''etonnement de Custine et d'Haxthausen.
Tous les voyageurs rendent justice aux paysans russes, mais ils font grand bruit de leur impudente friponnerie, de leur fanatisme religieux, de leur idol^atrie, pour le tr^one imp'erial.