Pierre Ier
, avec toute sa puissance, n'aurait pu rien exécuter s'il n'avait pas rencontré déjà une foule de mécontents. Ces mécontents lui vinrent en aide; c'est d'eux et de tout ce qui servait le nouveau gouvernement, que s'est formée la Russie européenne. Pierre Ier anoblit cette partie de la nation pour l'opposer à la Russie agreste. Mais outre que cette classe n'a produit aucune aristocratie ayant force et vigueur, elle a encore absorbé en elle l'aristocratie, autrefois puissante, de l'ancienne noblesse, des boyards et des princes[83]. La nouvelle noblesse, se recrutant sans cesse dans toutes les classes, n'acquit un caractère aristocratique qu'à l'égard du paysan, aussi longtemps qu'il restait paysan, c'est-à-dire à l'égard de cette portion du Peuple qui se trouvait aussi placée par le gouvernement en dehors de la loi.Probablement, dans les premiers temps qui suivirent la réforme, tous ces lourds et grossiers boyards, avec leur perruque poudrée et leurs bas de soie, ressemblaient fort à ces élégants d'Otaïti qui se pavannent en uniforme rouge anglais avec des epaulettes, sans culottes ni chemises. Mais grâce à notre talent d'imitation, la haute noblesse s'est bientôt appropriée les manières et la langue des courtisans de Versailles. En adoptant la délicatesse des formes et des mœurs de l'aristocratie européenne, elle ne perdit pas tout à fait les siennes propres, et, par suite, sa manière de vivre, au temps de Catherine II, offrait un mélange original de sauvage indiscipline et d'éducation de cour, de morgue aristocratique et de soumission semi-orientale. Ces mœurs étaient cependant plutôt originales et anguleuses que caricature; elles n'avaient rien de ce ton banal et sans goût qui a toujours distingué l'aristocratie allemande.
Entre la haute noblesse qui habite presque exclusivement Pétersbourg, et le
Dans cet ordre si absurdement placé entre la civilisation et le droit de planteur, entre le joug d'un pouvoir illimité et les droits seigneuriaux qu'il possède sur les paysans; dans cet ordre, où l'on rencontre la plus haute culture scientifique de l'Europe, sans la liberté de la parole, sans autre affaire que le service de l'Etat, s'agitent une masse de passions et de forces qui, pré-cisément par défaut d'issue, fermentent, grandissent et souvent se font jour en produisant quelque individualité éclatante, pleine d'excentricité.
C'est de cet ordre qu'est provenu tout le mouvement littéraire; c'est de lui qu'est sorti Pouchkin, ce représentant le plus complet de l'ampleur et de la richesse de la nature russe, c'est en lui qu'on a vu naître etgrandir, le 26 décembre 1825, cette
Dix ans de travaux forcés, vingt-cinq ans d'exil, n'ont pu rompre et courber ces hommes héroïques, qui, avec une poignée de soldats, descendirent sur la place d'Isaac pour y jeter le gant à l'impérialisme, et faire entendre publiquement des paroles qui, jusqu'à cette heure, et encore aujourd'hui, se transmetten! d'âme en âme, au sein de la nouvelle génération.
L'insurrection de 1825 clôt la première époque de la période de Pétersbourg. La question était résolue La classe intruite, cette classe du Peuple, qui reste conséquente à l'impulssion donnée par Pierre Ier
, prouva alors, par sa haine active, contre le despotisme, qu'elle avait rattrapé ses frères d'Occident. Ils se sont trouvés en complète communauté de sentiments et d'opinions avec Riégo, Gonfaloniéri et les Carbonari. L'effroi du gouvernement fut d'autant plus grand, qu'il trouva, d'un côté, tous les éléments de la noblesse et de la hiérarchie militaire impliqués dans l'insurrection, et que, de l'autre, il se souvint qu'aucun lien réel ne l'attachait à l'ancien Peuple, resté russe.Le 26 décembre a révélé tout ce qu'il y avait d'artificiel,' de fragile et de passager dans l'impérialisme de Pétersbourg. Le succès de la Révolution a tenu à un cheveu… Qu'en serait-il advenu? Il est difficile de le dire: mais quel qu'eût été le résultat, on peut hardiment affirmer, que le Peuple et la noblesse auraient tranquillement accepté le