— Il est vrai, fais-je, que notre ami Sirk Isker comprend votre fabuleux langage. Mais vos gardes se sont montrés si grossiers et ont parlé de vous en termes si désobligeants que mon ami ici présent (et ce disant je frappe sur l’épaule d’Abder Béru) n’a pu le supporter. C’est un homme d’une haute tenue morale. Il a servi en Égypte sous les ordres du Cormoran-l’Intrépide pendant la guerre contre Guy Mollet. Il est décoré de la coquille Saint-Jacques décernée par Chelkjèm. Il a été blessé une fois à la poitrine et une autre fois dans le désert du Grand Kabochar. Il a tué à lui seul une section française et ce avec pour toute arme un rasoir électrique. Bref, Votre Majesté, il admire trop les grandes figures arabes pour tolérer que de vagues collecteurs d’Aigou fassent des plaisanteries de mauv’Aigou sur leur vénéré émir.
Un peu gros comme blabla, je vous le concède. Mais comme dit Félicie, dans la vie, il n’y a que ceux qui n’entreprennent rien qui restent sur le gazon.
Je n’ai pas d’autre argument à portée de cellules grises. Ce sont les trucs les plus simples qui réussissent le mieux. L’éternel gag de la cuillère fondante, quoi !
Obolan se met à froncer ses beaux sourcils soyeux.
— En vérité ? demande-t-il.
— En vérité, Sire. Demandez plutôt à mon interprète qui nous traduisait leurs odieuses paroles. Vos fiscars déclaraient qu’il fallait que nous payions les redevances pour vous permettre de péter dans la soie et de faire vos ablutions dans des bidets en or massif. Est-ce là le langage que les mandataires d’un illustre émir peuvent tenir ? Nous, étrangers venus dans votre très fabuleux pays pour y faire commerce, pouvions-nous tolérer ces sarcasmes impies ?
— Tu te répands dans la vaseline, mec, me sussure Béru.
Il contient son hilarité, le Balourd.
Obolan frappe dans ses mains ; aussitôt des domestiques surgissent, comme s’ils sortaient de la lampe d’Aladin. L’émir donne des ordres, tout en nous priant de nous asseoir pour le thé des familles.
M’est avis, les gars, que grâce à Pinaud, à mon imagination et à sa crédulité de despote, nos actions vont bientôt être cotées en Bourse. C’est ce qui s’appelle revenir de loin.
On sert le thé. Béru, timidement, demande si, à la place, il ne pourrait pas avoir un petit verre de Juliénas.
Je lui vote un coup de latte dans les échasses.
— Crétin, fais-je, t’es censé être arbi et le picrate est interdit par ta religion.
— Qu’est-ce que c’est que le Juliénas ? demande Obolan.
— Un mélange de lait, d’huile d’olive et de miel, me hâté-je d’expliquer.
L’émir donne des ordres pour que soit préparée cette mixture. La bouille du Gros est indescriptible.
Lorsque les serviteurs lui amènent son cocktail, il considère le breuvage avec épouvante.
— Si je me retiendrais pas, tu le prendrais dans la devanture, m’assure Sa Grosseur.
On fait des risettes à l’émir. Il nous bonnit que sa fameuse fiesta du Falzar, qui tombe cette année le jour même de la commémoration du Grand Kalbar, doit revêtir un éclat tout particulier. Non seulement les notables de tout l’émirat doivent s’y pointer, mais de plus, les autres émirs du Kelsaltan vont rehausser de leur présence des fêtes dignes du siècle de Klérambar-le-Somptueux, celui-là même qui fit construire le prestigieux palais de Mars-El-Hémé. Gentiment, Obolan nous réclame un échantillonnage de nos talents. Qu’à cela ne tienne. Je lui demande de l’armurerie, alléguant que ma panoplie a disparu à la suite de l’échauffourée de naguère.
— Je crois, fait-il, que j’ai ce qu’il vous faut.
Tu parles, Charles ! Il me fait apporter un pistolet de compétition en argent ciselé. C’est une arme suédoise avec Barillet et Grédy incorporés, point de mire éclairé au néon et gâchette assistée.
Avec un jouet pareil, je me sens capable de couper les brides de soutien-gorge d’une demoiselle sans lui effleurer la peau.
— Montrez-moi votre adresse ! dit l’émir en souriant.
C’est prononcé sur le mode badin, mais je pige très bien que c’est un ordre. J’assure l’arme dans ma main et je commence par lui faire un chouette numéro buffalobillien en la faisant tourniquer au bout de mon index jusqu’à ce qu’elle devienne aussi invisible qu’une hélice d’avion en action. Ensuite de quoi, je me la passe d’une main à l’autre à une vitesse telle qu’on pourrait croire que j’ai un pétard dans chaque pogne.
Tout ça, c’est de la petite manipulation pour amuser les demoiselles venues admirer ma collection de flingues.
Ça produit sur l’émir une forte impression et il s’éclaire comme une salle de cinéma après qu’Eddie Constantine ait buté le dernier acteur du film.
Maintenant je me dirige vers la terrasse, toujours suivi d’Obolan.
— Majesté, lui dis-je, vous voyez ce jardinier qui est en train d’arroser vos magnifiques parterres de roses ?
Il opine.
— Me permettez-vous de lui faire une simple farce ?
— Vous allez lui traverser la cervelle ? croit deviner l’émir.
— Qu’Allah m’en préserve, fais-je. J’ai dit une simple farce.
— Faites !