J’espère que cette pétoire d’apparat est bien réglée. Une arme, c’est comme une gonzesse, faut bien la connaître lorsqu’on veut faire des prouesses avec elle.
Enfin, je fais confiance aux armuriers suédois. Repliant mon coude gauche afin de m’en faire un support, je vise le tuyau d’arrosage et j’y vais de quatre prunes.
Quatre jets d’eau naissent instantanément dans le dos du jardinier qui se prend une douche maison avant d’avoir réalisé ce qui se passe.
L’émir éclate de rire et me frappe sur l’épaule.
— Bravo, Ben Santa, fait-il. Vous êtes le meilleur tireur qu’il m’ait été donné de voir. Si vous voulez vous installer définitivement dans mon émirat, je vous nomme ministre des tirs au pistolet avec un traitement annuel de dix millions de klitoris, plus trois femmes et le pétrole gratuit pour votre voiture.
Je me prosterne et baise le bas de son burnous.
— La bonté et la magnificence de son Altesse sont infinies, dis-je. Mais j’ai déjà vingt-quatre femmes dans mon pays qui m’attendent en se lamentant, Sire. Et vous savez ce que c’est, lorsqu’on quitte son harem, c’est pas un régime de bananes qui peut assurer longtemps l’intérim.
Il acquiesce.
— Réfléchissez tout de même. Vingt-quatre femmes de perdues, c’est cinquante de retrouvées, selon le proverbe de notre grand Mory-Hak.
— Je vais réfléchir, Majesté.
Une interruption : l’arrivée des deux gardes fiscaux. Ils se prosternent en balbutiant des paroles psaumatiques.
— Harroha blabla mustafakémalpacha ? leur demande l’émir à brûle-pourpoint.
Ils ont l’air suffoqué, les malheureux. Ils secouent la tète éperdument.
— Tépabougnakamasoutra jakanktil ! protestent les gardes fiscaux.
L’émir se file en renaud.
— Yayaparémonkopa ! tonne le souverain.
Puis, s’adressant à votre serviteur :
— Ces chiens galeux mentent effrontément. Ils jurent sur les mânes de leurs ancêtres n’avoir pas prononcé les paroles que vous dites. Je vais les faire empaler !
— Ça leur fera les pieds, applaudit Bérurier.
Je m’exclame.
— Comment peux-tu dire une chose pareille, Abder Béru ? Sais-tu ce qu’est le supplice du pal ?
— Oh ! réalise le Gravos, y a gourance, j’avais compris : « Je vais les faire emballer ».
Déjà l’émir fait un geste, pour signifier que la sentence doit s’accomplir. J’interviens :
— Seigneur tout-puissant, plus grand des plus grands, fais-je. Vous dont la générosité est sans égale et la bonté plus vaste que l’océan Indien ; accordez le pardon à ces hommes. Tenez compte de ce que nous sommes étrangers. Après tout, peut-être avons-nous mal compris.
Mais l’émir est inflexible.
— N’ayez aucun scrupule, dit-il, de toutes manières, chaque année au moment des fêtes je fais empaler deux ou trois percepteurs histoire de faire plaisir à mon peuple.
Il hoche la tête et ajoute :
— Pour vous être agréable, je vais dire qu’on enduise la pointe du pal d’huile afin que leur mort soit plus rapide.
Charmant homme, cet Obolan, vraiment.
Il est conquis par notre petit groupe. Béru lui chante « Les Matelassiers » comme jamais il ne les avait encore interprétés.
Pinaud qui, vous le savez peut-être, a fait du théâtre d’amateur dans sa jeunesse, déclame la tirade du Cid.
Quant à Sirk, il fait disparaître la montre-bracelet de notre hôte. Un bijou magnifique, en diamant bleu avec mouvement en platine. Ça épate l’émir. Faut admettre que ce brave Hamar a une rare dextérité.
— T’étais piqueur à tes débuts parisiens, je parierais ? lui demandé-je en aparté, car je parle couramment cette langue.
Il sourit.
— Exactement. Et je me défendais pas mal !
— Je te crois sans peine, tu as de beaux restes.
Ravi, l’émir nous conseille de bien préparer nos numéros pour la fête qui aura lieu le surlendemain. Et, afin de nous témoigner sa bienveillance, il nous fait visiter son sérail[10]
.C’est la première fois que nous mettons les pieds (en regardant que ça ne soit que les pieds) dans un endroit de ce genre.
Il est sans rapport (même sexuel) avec ceux qui firent la réputation de Mme Richard.
Quel luxe, mes amis !
Quelle luxure !
Quelle luxuriance !
On se croirait dans un Cécil-B de Mil (en anciens francs) de la belle époque. Une piscine taillée dans une émeraude ! Des plantes rares, des parfums… d’Arabie. Des coussins de soie rehaussés de pierreries ! Des oiseaux, partout, dans des volières aux barreaux d’or. Faut le voir pour y croire, aussi n’êtes-vous point obligés de me croire, les gars. Comme disait mon copain l’Auvergnat en parlant des filles : faut en prendre et en lécher.