Voyant l’air toujours ahuri de Ron, une étrange pensée vint alors à l’esprit de Harry.
– Tu… Tu n’arrives pas à les voir ?
– Voir
– Tu ne vois pas les créatures qui tirent les diligences ?
Ron semblait sérieusement inquiet, à présent.
– Tu te sens bien, Harry ?
– Je… Oui…
Harry n’y comprenait plus rien. Le cheval était là, devant lui, bien réel, son pelage luisant dans la faible lumière que diffusaient les fenêtres de la gare, des panaches de vapeur s’élevant de ses naseaux dans l’air frais de la nuit. Pourtant, à moins que Ron se soit moqué de lui – et dans ce cas, la plaisanterie aurait été douteuse –, il ne le voyait pas du tout.
– Bon, on monte ? dit Ron, incertain, en regardant Harry d’un air soucieux.
– Oui, oui, allons-y…
– Ne t’en fais pas, dit une voix rêveuse à côté de Harry, après que Ron eut disparu dans les profondeurs obscures de la diligence. Tu n’es pas en train de devenir fou, moi aussi, je les vois.
– C’est vrai ? s’exclama Harry d’un air éperdu en se tournant vers Luna.
Il distinguait dans ses grands yeux argentés le reflet des chevaux aux ailes de chauves-souris.
– Oh, oui, répondit-elle. Je les ai vus dès le premier jour où je suis venue ici. Ce sont toujours eux qui tirent les diligences. Ne t’inquiète pas, tu es aussi sain d’esprit que moi.
Avec un faible sourire, elle monta à la suite de Ron dans la diligence d’où s’exhalait une odeur de moisi. Sans être rassuré le moins du monde, Harry la suivit.
11. LA NOUVELLE CHANSON DU CHOIXPEAU MAGIQUE
Harry ne voulait pas révéler aux autres que Luna et lui partageaient la même hallucination – si toutefois c’en était une. Il ne parla donc plus des chevaux et s’assit à l’intérieur de la diligence dont il claqua la portière derrière lui. Il ne put s’empêcher cependant de regarder les silhouettes des chevaux qu’il voyait bouger par la fenêtre.
– Vous avez vu la Gobe-Planche ? demanda Ginny. Qu’est-ce qu’elle est revenue faire ici ? Hagrid n’est quand même pas parti, non ?
– Moi, je serais contente s’il n’était plus là, dit Luna. Ce n’est pas un très bon prof.
– Bien sûr que si, c’est un bon prof ! s’exclamèrent Harry, Ron et Ginny avec colère.
Harry jeta un regard noir à Hermione qui toussota et dit précipitamment :
– Heu… Oui, oui, il est très bon.
– Nous, à Serdaigle, on trouve que ses cours sont une plaisanterie, reprit Luna, imperturbable.
– Alors, vous devez avoir un sens de l’humour particulièrement lamentable, répliqua Ron tandis que la diligence s’ébranlait dans un grincement de roues.
Luna ne sembla nullement affectée par la grossièreté de Ron. Elle se contenta de le regarder pendant un moment comme si elle avait jeté un coup d’œil à une émission de télévision d’un intérêt limité.
Bringuebalant dans un bruit de ferraille, le convoi des diligences remonta la route en direction du château. Lorsqu’ils passèrent entre les deux grands piliers de pierre surmontés de sangliers ailés qui encadraient le portail de l’école, Harry se pencha en avant pour voir s’il y avait de la lumière dans la cabane de Hagrid, près de la Forêt interdite, mais le parc était plongé dans une obscurité totale. Le château de Poudlard, en revanche, dessinait de plus en plus nettement la silhouette de ses hautes tours d’un noir de jais qui se détachaient contre le ciel nocturne. Par endroits, une fenêtre allumée brillait d’une lueur flamboyante au-dessus de leurs têtes.
Les diligences s’arrêtèrent dans un cliquetis métallique devant les marches de pierre qui menaient à la double porte de chêne de l’entrée. Harry fut le premier à descendre. Il scruta à nouveau le parc pour essayer de distinguer une lumière du côté de la Forêt interdite mais il n’y avait toujours pas le moindre signe de vie dans la cabane de Hagrid. À contrecœur, et avec le vague espoir qu’elles se soient volatilisées, il se tourna à nouveau vers les étranges créatures squelettiques, immobiles et muettes dans la fraîcheur nocturne, leurs yeux blancs luisant d’un regard vide.
Il était déjà arrivé à Harry de voir quelque chose que Ron ne voyait pas, mais c’était un reflet dans un miroir, beaucoup moins réel qu’une centaine d’animaux bien solides, suffisamment robustes pour tirer toute une flotte de diligences. À en croire Luna, les créatures avaient toujours été présentes, mais restaient invisibles. Pourquoi, dans ce cas, Harry pouvait-il soudain les voir et pas Ron ?
– Alors, tu viens ou pas, lui dit Ron.
– Hein ? Ah oui, répondit Harry.
Et ils se joignirent à la foule qui se hâtait de monter les marches pour pénétrer dans le château.
Le hall d’entrée était éclairé par des torches enflammées et résonnait du martèlement des pas sur les dalles de pierre, tandis que les élèves se pressaient vers la Grande Salle où aurait lieu le festin du début d’année.