– Monsieur, s’écria La Brie en entrant, et en tenant d’une de ses mains une lettre et de l’autre quelques pièces d’or; monsieur, voilà ce que la dauphine a laissé pour moi, dix louis! monsieur, dix louis!
– Et cette lettre, faquin?
– Ah! cette lettre est pour vous, monsieur; elle vient du sorcier.
– Du sorcier; et qui te l’a remise?
– Gilbert.
– Je te le disais bien, double brute; donne, mais donne donc vite!
Le baron arracha la lettre à La Brie, l’ouvrit précipitamment et lut tout bas:
«Monsieur le baron, depuis qu’une si auguste main a touché cette vaisselle chez vous, elle appartient à vous, gardez-la donc comme une relique, et pensez quelquefois à votre hôte reconnaissant.
Joseph Balsamo»
– La Brie! cria le baron après avoir réfléchi un moment.
– Monsieur?
– N’y a-t-il pas un bon orfèvre à Bar-le-Duc?
– Oh! oui, monsieur, celui qui a ressoudé la timbale d’argent de mademoiselle Andrée.
– C’est bien. Andrée, mettez à part le verre dans lequel a bu Son Altesse royale, et faites porter dans le carrosse le reste du service. Et toi, bélître, cours à la cave, et fais servir à ce gentilhomme ce qui reste ici de bon vin.
– Une bouteille, monsieur, dit La Brie avec une profonde mélancolie.
– C’est tout ce qu’il faut.
La Brie sortit.
– Allons, Andrée, continua le baron en prenant les deux mains de sa fille, allons, du courage, mon enfant. Nous allons à la cour; il y a beaucoup de titres vacants là-bas, beaucoup d’abbayes à donner, pas mal de régiments sans colonel, bon nombre de pensions en jachère. C’est un beau pays que la cour, bien éclairé par le soleil. Mets-toi toujours du côté où il luira, ma fille, tu es belle à voir. Va, mon enfant, va.
Andrée sortit à son tour après avoir présenté son front au baron.
Nicole la suivit.
– Holà! monstre de La Brie, cria Taverney en sortant le dernier, aie bien soin de monsieur l’exempt, entends-tu?
– Oui, monsieur, répondit La Brie du fond de la cave.
– Moi, continua le baron en trottinant vers sa chambre, moi, je vais ranger mes papiers… Que dans une heure nous soyons hors de ce bouge, Andrée, entends-tu bien!… J’en sortirai donc enfin, de Taverney, et par la bonne porte encore. Quel brave homme que ce sorcier!… En vérité, je deviens superstitieux comme un diable… Mais dépêche-toi donc, misérable La Brie.
– Monsieur, j’ai été obligé d’aller à tâtons. Il n’y avait plus de chandelle au château.
– Il était temps, à ce qu’il paraît, dit le baron.
Chapitre XVII Les vingt-cinq louis de Nicole
Cependant, de retour dans sa chambre, Andrée activait les préparatifs de son départ. Nicole aida à ces préparatifs avec une ardeur qui dissipa promptement le nuage qui s’était élevé entre elle et sa maîtresse à l’occasion de la scène du matin.
Andrée la regardait faire du coin de l’œil et souriait en voyant qu’elle n’aurait pas même besoin de pardonner.
– C’est une bonne fille, se disait-elle tout bas, dévouée, reconnaissante; elle a ses faiblesses comme ici-bas toute créature. Oublions!
Nicole, de son côté, n’était pas fille à avoir perdu de vue la physionomie de sa maîtresse, et elle remarquait la bienveillance croissante qui se peignait sur son beau et calme visage.
– Sotte que je suis, pensa-t-elle, j’ai failli me brouiller, pour ce petit coquin de Gilbert, avec mademoiselle qui m’emmène à Paris, où l’on fait presque toujours fortune.
Il était difficile que sur cette pente rapide deux sympathies roulant l’une vers l’autre ne se rencontrassent point, et, en se rencontrant, ne se missent point en contact.
Andrée donna la première réplique.
– Mettez mes dentelles dans un carton, dit-elle.
– Dans quel carton, mademoiselle? demanda la chambrière.
– Mais que sais-je! N’en avons-nous point?
– Si fait, j’ai celui que mademoiselle m’a donné, et qui est dans ma chambre.
Et Nicole courut chercher le carton avec une prévenance qui acheva de déterminer Andrée à oublier tout à fait.
– Mais c’est à toi ce carton, dit-elle en voyant reparaître Nicole, et tu peux en avoir besoin, pauvre enfant.
– Dame! si mademoiselle en a plus besoin que moi, comme c’est à elle en définitive que le carton appartient…
– Quand on veut entrer en ménage, reprit Andrée, on n’a jamais assez de meubles. Ainsi c’est donc toi, en ce moment, qui en as plus besoin que moi.
Nicole rougit.
– Il te faut des cartons, continua Andrée, pour mettre ta parure de noces.
– Oh! mademoiselle, dit gaiement Nicole en secouant la tête, mes parures de noces, à moi, seront faciles à loger et ne tiendront pas grand-place.
– Pourquoi? Si tu te maries, Nicole, je veux que tu sois heureuse, riche même.
– Riche?
– Oui, riche, proportionnellement, sans doute.
– Mademoiselle m’a donc trouvé un fermier général?
– Non; mais je t’ai trouvé une dot.
– En vérité, mademoiselle?
– Tu sais ce qu’il y a dans ma bourse?
– Oui, mademoiselle, vingt-cinq beaux louis.
– Eh bien! ces vingt-cinq louis sont à toi, Nicole.
– Vingt-cinq louis! Mais c’est une fortune cela! s’écria Nicole ravie.
– Tant mieux, si tu dis cela sérieusement, ma pauvre fille.