Читаем L’écume des jours полностью

– Je conseille à Monsieur un tempo d’atmosphère, dans le style de Chloé, arrangé par Duke Ellington, ou du Concerto pour Johnny Hodges… dit Nicolas. Ce qu’outre-Atlantique on désigne par moody ou sultry tune.

VII

– Le principe du biglemoi, dit Nicolas, que Monsieur connaît sans doute, repose sur la production d’interférences par deux sources animées d’un mouvement oscillatoire rigoureusement synchrone.

– J’ignorais, dit Colin, que cela mît en œuvre des éléments de physique aussi avancés.

– En l’espèce, dit Nicolas, le danseur et la danseuse se tiennent à une distance assez petite l’un de l’autre et mettent leur corps entier en ondulation suivant le rythme de la musique.

– Oui? dit Colin un peu inquiet.

– Il se produit alors, dit Nicolas, un système d’ondes statiques présentant, comme en acoustique, des nœuds et des ventres, ce qui ne contribue pas peu à créer l’atmosphère dans la salle de danse.

– Certainement… murmura Colin.

– Les professionnels du biglemoi, poursuivit Nicolas, réussissent parfois à installer des foyers d’ondes parasites en mettant, séparément, en vibration synchrone certains de leurs membres. Je n’insiste pas, et je vais tâcher de montrer à Monsieur comment on fait.

Colin choisit Chloé, comme le lui avait recommandé Nicolas et le centra sur le plateau du pick-up. Il posa délicatement la pointe de l’aiguille au fond du premier sillon et regarda Nicolas entrer en vibration.

VIII

– Monsieur va y arriver! dit Nicolas. Encore un effort.

– Mais pourquoi, demanda Colin en sueur, prend-on un air lent? C’est beaucoup plus difficile.

– Il y a une raison, dit Nicolas. En principe, le danseur et la danseuse se tiennent à une distance moyenne l’un de l’autre. Avec un air lent, on peut arriver à régler l’ondulation de telle sorte que le foyer fixe se trouve à mi-hauteur des deux partenaires: la tête et les pieds sont alors mobiles. C’est le résultat que l’on doit obtenir théoriquement. Il est, et c’est regrettable, advenu que des personnes peu scrupuleuses se sont mises à danser le biglemoi à la façon des Noirs, sur tempo rapide.

– C’est-à-dire? demanda Colin.

– C’est-à-dire avec un foyer mobile aux pieds, un à la tête et, malheureusement, un intermédiaire mobile à la hauteur des reins, les points fixes, ou pseudo-articulations, étant le sternum et les genoux.

Colin rougit.

– Je comprends, dit-il.

– Sur un boogie, conclut Nicolas, l’effet est, disons le mot, d’autant plus obscène que l’air est obsédant en général.

Colin restait songeur.

– Où avez-vous appris le biglemoi? demanda-t-il à Nicolas.

– Ma nièce me l’a appris… dit Nicolas. J’ai établi la théorie complète du biglemoi au cours de conversations avec mon beau-frère. Il est membre de l’Institut, comme Monsieur le sait sans doute, et n’a pas eu de grandes difficultés à saisir la méthode. Il m’a même dit qu’il avait fait ça il y a dix-neuf ans…

– Votre nièce a dix-huit ans? demanda Colin.

– Et trois mois… rectifia Nicolas. Si Monsieur n’a plus besoin de moi, je vais retourner surveiller ma cuisine.

– Allez, Nicolas, et merci, dit Colin en enlevant le disque qui venait de s’arrêter.

IX

– Je mettrai mon complet beige avec ma chemise bleue, et ma cravate beige et rouge, et mes souliers de daim à piqûres et des chaussettes rouges et beiges.

– Je vais d’abord m’abluter, et, me raser, et me vérifier. Et je vais demander dans sa cuisine à Nicolas:

– Nicolas, voulez-vous venir danser avec moi?

– Mon Dieu, dit Nicolas, si Monsieur me le demande avec insistance, j’irai, mais dans le cas contraire, je serais heureux de pouvoir régler quelques affaires dont l’urgence se fait impérative.

– Il est indiscret, Nicolas, de vous pousser plus à fond?

– Je suis, dit Nicolas, Président du Cercle Philosophique des Gens de Maison de l’arrondissement, et, par suite, astreint à une certaine assiduité aux réunions.

– Je n’ose, Nicolas, vous demander le thème de la réunion d’aujourd’hui…

– Il y sera parlé de l’engagement. Un parallèle est établi entre l’engagement d’après les théories de Jean-Sol Partre, l’engagement ou le rengagement dans les troupes coloniales, et l’engagement ou prise à gages des gens dits de maison par les particuliers.

– Voilà qui intéresserait Chick! dit Colin.

– Il est malheureusement regrettable, dit Nicolas, que le Cercle soit très fermé. M. Chick n’y pourrait être admis. Seuls, les gens de maison…

– Pourquoi, Nicolas, demanda Colin, emploie-t-on toujours le pluriel?

– Monsieur remarquera sans doute, dit Nicolas, que «homme de maison» reste anodin, mais que «femme de maison» prend une signification notoirement agressive…

– Vous avez raison, Nicolas. A votre avis, dois-je rencontrer l’âme sœur aujourd’hui?… Je voudrais une âme sœur du type de votre nièce…

– Monsieur a tort de penser à ma nièce, dit Nicolas, puisqu’il appert des événements récents que M. Chick a fait son choix le premier.

– Mais, Nicolas, dit Colin, j’ai tant envie d’être amoureux…

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