Le soleil est à son zénith.
Les retardataires, mâles et femelles, se pressent dans les artères affleurant à la peau de la Cité. Des ouvrières les poussent, les lèchent, les encouragent.
La 56e femelle se noie à temps dans cette foule en liesse où toutes les odeurs passeports se confondent. Personne ici n'arrivera à identifier ses effluves. Se laissant porter par le flot de ses sœurs, elle monte de plus en plus haut et traverse des quartiers jusqu'alors inconnus. Soudain, à l'angle d'un couloir, elle rencontre une chose qu'elle n'avait encore jamais vue. La lumière du jour. Ce n'est d'abord qu'un halo sur les murs, mais bientôt cela se transforme en clarté aveuglante. Voici enfin cette force mystérieuse que lui avaient décrite les nourrices. La chaude, la douce, la belle lumière. La promesse d'un nouveau monde fabuleux. A force d'absorber des photons bruts dans ses globes oculaires, elle se sent ivre. Comme si elle avait abusé du miellat fermenté du trente-deuxième étage. La 56e princesse continue d'avancer. Le sol est éclaboussé de taches d'un blanc dur. Elle patauge dans les photons chauds. Pour quelqu'un qui a vécu son enfance sous terre, le contraste est violent. Nouveau virage. Un pinceau de lumière pure la fusille, s'élargit en cercle éblouissant, puis en voile d'argent. Le bombardement de lumière l'oblige à reculer. Elle en sent les grains lui entrer dans les yeux, lui brûler les nerfs optiques, lui ronger les trois cerveaux. Trois cerveaux… vieil héritage des ancêtres vers qui possédaient un ganglion nerveux pour chaque anneau, un système nerveux pour chaque partie du corps. Elle progresse contre le vent de photons. Au loin elle distingue les silhouettes de ses sœurs qui se font happer par l'astre solaire. On dirait des fantômes. Elle avance encore. Sa chitine devient tiède. Cette lumière qu'on a mille fois essayé de lui décrire est au-delà de tout langage, il faut la vivre! Elle a une pensée pour toutes les ouvrières de la sous-caste des «concierges» qui restent toute leur vie enfermées dans la Cité et ne sauront jamais ce qu'est l'extérieur et son soleil.