L'ex-docteur de la Loi était rongé d'angoisses. Tant de jours passés dans l'anxiété, tant d'amertumes vécues dans l'intention de trouver un peu de compréhension et de repos auprès des siens, il voyait, maintenant, que ce n'était qu'illusion et leurre. Sa famille désorganisée, sa mère morte, son père malheureux, ses amis qui l'exécraient, Jérusalem qui le raillait.
Le voyant dans une telle attitude, son ami se réjouissait au fond et attendait anxieusement l'effet de ses propos.
Après s'être concentré pendant une minute, Saûl a souligné :
Je déplore des incidents aussi tristes et je prends Dieu pour témoin que je n'ai pas intentionnellement coopéré à tout cela. Néanmoins, même ceux qui n'ont pas encore accepté l'Évangile devraient comprendre que selon l'Ancienne Loi, nous ne devons pas être fiers. Avec toute l'énergie de ses recommandations, Moïse n'a rien enseigné d'autre que la bonté. Les prophètes, qui lui ont succédé, ont été les émissaires de messages profonds pour notre cœur qui se perdait dans l'iniquité. Amos nous a incités à chercher Jéhovah pour réussir à vivre. Je déplore que ceux qui me sont chers se jugent offensés ; mais il faut se dire qu'avant d'écouter tout jugement oisif du monde, nous devons écouter la voix de Dieu.
Tu veux dire que tu persistes dans tes erreurs ? - a demandé Alexandre presque
hostile.
Je ne me sens pas trompé. Face à l'incompréhension générale - a commenté l'ex- rabbin dignement -, je me trouve aussi dans une pénible situation ; mais le Maître ne manquera pas de m'apporter son aide. Je me souviens de lui et je ressens un grand réconfort. Les affections de ma famille et la considération de mes amis étaient au monde mon unique richesse. Néanmoins, j'ai trouvé dans les annotations de Lévi le cas d'un jeune homme riche qui m'enseigne à procéder en cette heure12
. Depuis mon enfance j'ai cherché à accomplir rigoureusement mes devoirs ; mais s'il faut que j'abandonne la richesse qui me reste pour atteindre l'illumination de Jésus, je renoncerai même à l'estime de ce monde!...(12) Matthieu, chapitre 19, versets 16 à 23.
Alexandre sembla s'émouvoir au ton mélancolique de ces dernières paroles. Saûl donnait l'impression qu'il était prêt à pleurer.
Tu es profondément perturbé - a objecté Alexandre -, seul un fou pourrait procéder de la sorte.
Gamaliel n'était pas fou et il a accepté Jésus comme le Messie promis - a ajouté l'ex- docteur en évoquant la vénérable mémoire du grand rabbin.
Je ne le crois pas ! - dit l'autre d'un air supérieur.
Silencieux, Saûl a baissé son front. Quelle était grande l'humiliation de cette heure ! Après avoir été pris pour fou, il était considéré comme menteur. Malgré tout, au comble de sa perplexité, il se dit que son ami n'était pas en condition de le comprendre complètement. Il réfléchissait à la situation embarrassante quand Alexandre dit à nouveau :
Malheureusement, je dois être convaincu de l'état précaire de ton cerveau. Pour l'instant, tu pourras rester à Jérusalem autant que tu voudras, mais il vaudrait mieux ne pas augmenter le scandale de ta maladie avec de faux éloges du charpentier de Nazareth. La décision du Sanhédrin, que j'ai réussi à obtenir avec tant de sacrifices, pourrait être modifiée. Quant au reste - finissait-il comme pour le saluer -, tu sais que je suis à tes ordres si tu changes définitivement d'attitude, à tout moment.
Saûl comprit l'avertissement ; il n'était pas nécessaire de prolonger l'entrevue. Son ami l'expulsait avec de bonnes manières.
Deux minutes plus tard, il était à nouveau sur la voie publique. Il était presque midi, par une journée chaude. Il avait soif et faim. Il a regardé sa bourse, elle était presque vide. C'était le reste de ce qu'il avait reçu des mains généreuses du frère de Gamaliel en quittant Palmyre définitivement. Il a cherché la pension la plus modeste d'une des zones les plus pauvres de la ville. Puis après un repas frugal et avant que ne tombent les ombres caressantes de l'après-midi, il s'est dirigé plein d'espoirs vers la vieille demeure rénovée, où Simon Pierre et ses compagnons développaient leurs activités au profit de la cause de Jésus.
En chemin, il s'est souvenu du jour où il était allé entendre Etienne en compagnie de Sadoc. Comme tout, maintenant, se passait dans le sens inverse ! Le critique d'autrefois était maintenant le critiqué. Le juge était transformé en accusé, son cœur était plongé dans de singulières angoisses. Comment le recevraient-ils à l'église du « Chemin » ?