Il s'est arrêté devant une humble habitation. Il pensait à Etienne, plongé dans le passé, l'âme oppressée. Devant ses collègues du Sanhédrin, affrontant les autorités du judaïsme, son attitude était autre. Il connaissait leurs propres faiblesses, il était aussi passé devant les masques pharisiens et pouvait évaluer leurs criantes erreurs. Néanmoins, face aux apôtres galiléens, une vénération sacrée s'imposait à sa conscience. Ces hommes pouvaient être rudes et simples, ils pouvaient vivre loin des valeurs intellectuelles de leur époque, mais ils avaient été les premiers collaborateurs de Jésus. En outre, il ne pourrait pas s'approcher d'eux sans ressentir de profonds remords. Tous avaient souffert de vexations et d'humiliations à cause de lui. Si Gamaliel n'avait pas été là, Pierre lui-même aurait peut-être été lapidé... Il devait consolider ses notions d'humilité pour manifester ses brûlants désirs de coopération sacrée avec le Christ. À Damas, il avait combattu dans la synagogue contre l'hypocrisie de ses anciens compagnons ; à Jérusalem, il avait affronté Alexandre avec fermeté ; néanmoins, il lui semblait qu'à présent son attitude devait être différente, il devait faire preuve de résignation pour arriver à se réconcilier avec ceux qu'il avait blessés.
Plongé dans de profondes réflexions, il a happe a la porte presque tremblant.
L'un des assistants du service interne, du nom do Prochore, est venu lui répondre avec bienveillance.
Mon frère - a dit le jeune tarsien sur un ton humble -, pouvez-vous me dire si Pierre
est là ?
Je vais voir - a répondu l'interpellé, amicalement.
S'il est là - a ajouté Saûl un peu indécis -, dites-lui que Saûl de Tarse désire lui parler au nom de Jésus.
Prochore a bégayé un « oui » avec une extrême pâleur, il fixa sur le visiteur des yeux épouvantés et s'est éloigne avec difficulté sans dissimuler son énorme surprise C'était le persécuteur qui revenait, après trois ans. Il se souvenait, maintenant, de cette première discussion avec Etienne quand le grand prédicateur de l'Évangile avait souffert de tant d'insultes. Rapidement, il se trouva dans la pièce où Pierre et Jean discutaient de problèmes internes. Pour les deux hommes, la nouvelle fit l'effet d'une bombe. Personne n'aurait pu prévoir une telle chose. Ils ne croyaient pas à la légende que Jérusalem embellissait de détails inouïs à chaque commentaire. Il était impossible que le bourreau implacable des disciples du Seigneur se soit converti à la cause de son Évangile d'amour et de rédemption.
Avant de renvoyer Prochore au visiteur inattendu, l'ex-pêcheur du « Chemin », fit appeler Jacques pour décider tous trois de la décision à prendre.
Le fils d'Alphée, transformé en un rigide ascète, écarquilla les yeux.
Après les premiers avis qui traduisaient de justes craintes émises précipitamment, Simon s'exprima avec une grande prudence :
En vérité, il nous a fait tout le mal qu'il a pu ; néanmoins, ce n'est pas pour nous que nous devons craindre mais pour l'œuvre du Christ qui nous est confiée.
Je parie que toute cette histoire de conversion n'est qu'une farce, pour nous faire tomber dans de nouveaux pièges - répliqua Jacques un peu irrité.
Pour moi - a dit Jean -, je demande à Jésus de nous éclairer bien que je me souvienne des coups de fouets que Saûl a ordonné de me donner en prison. Avant tout, nous devons savoir si le Christ lui est effectivement apparu aux portes de Damas.
Mais le savoir comment ? - dit Pierre avec une profonde compréhension. - L'objet de notre reconnaissance est Saûl lui-même. C'est le sol qui révélera ou pas la plante sacrée du Maître. À mon avis, ayant à veiller sur un patrimoine qui ne nous appartient pas, nous sommes obligés de procéder comme le conseille la prudence humaine. Il n'est pas juste d'ouvrir nos portes quand nous ne connaissons pas ses intentions. La première fois qu'il est venu ici, Saûl de Tarse a été traité avec le respect que le monde lui consacrait. Je lui ai donné la meilleure place pour qu'il entende la parole d'Etienne. Malheureusement, son attitude irrespectueuse et ironique a provoqué le scandale qui a culminé avec l'emprisonnement et la mort de notre compagnon. Il est venu spontanément et est reparti pour nous faire arrêter. À l'affection fraternelle que nous lui avons offerte, il a répondu par des chaînes et des cordes. M'exprimant ainsi, je ne dois pas non plus oublier la leçon du Maître, concernant le pardon, je réaffirme donc que nous ne devons pas penser à nous, mais aux responsabilités qui nous ont été conférées.
Face à des considérations aussi justes, les autres se sont tus tandis que l'ex-pêcheur ajoutait :