Bientôt, la mission loua un bateau et partit pour Pergé. Dans cette ville d'une certaine importance pour la région où elle se localisait, ils annoncèrent l'Évangile avec un immense dévouement. La petite synagogue se remplit ce samedi-là d'une grande agitation. Quelques juifs et de nombreux gentils en majorité des gens pauvres et simples ont accueilli les missionnaires avec une réelle joie. Les nouvelles du Christ ont éveillé une singulière curiosité et d'un certain enchantement. Le modeste édifice, loué par Barnabe, était plein de créatures soucieuses d'obtenir une copie des annotations de Lévi. Paul se réjouissait. Il ressentait une joie indéfinissable au contact de ces cœurs humbles et modestes qui donnaient à son esprit fatigué de casuistique la douce impression de virginité spirituelle. Quelques-uns cherchaient à connaître la position de Jésus dans la hiérarchie des dieux du paganisme ; d'autres désiraient savoir la raison pour laquelle ils avaient crucifié le Messie, sans considération pour ses titres de grandeur en tant que Messager de l'Éternel. La région était pleine de superstitions et de croyances. La culture judaïque se restreignait à l'environnement fermé des synagogues. Bien que la mission consacre son plus grand effort aux Israélites, prêchant dans le cercle de ceux qui suivaient la Loi de Moïse, elle s'intéressait aux couches les plus obscures du peuple en raison des guérisons et de l'invitation aimante à l'Évangile, mouvement qui suscitait tout l'engagement des travailleurs de Jésus.
Pleinement satisfaits, Paul et Barnabe décidèrent de se diriger à partir de là vers Antioche de Pisidie. Informé de ce projet, Jean-Marc ne réussit pas à calmer ses craintes plus longtemps et demanda :
En supposant que nous n'allions pas au-delà de Pamphylie. Comment arriver jusqu'à Antioche alors ? Nous n'avons pas comment traverser de tels précipices. Les forêts sont Infestées de bandits, le fleuve qui est plein de cascades ne facilite pas le passage des barques. Et les nuits ? Comment allons-nous dormir ? Ce voyage ne peut se faire sans animaux et sans serviteurs et nous n'en avons pas.
Paul a réfléchi une minute et dit :
Écoute, Jean, quand nous travaillons pour quelqu'un, nous devons le faire avec amour. Je pense qu'annoncer le Christ à ceux qui ne le connaissent pas, vu leurs nombreuses difficultés naturelles, est une gloire pour nous. L'esprit de service ne rejette jamais la partie la plus difficile sur les autres. Le Maître n'a pas donné sa croix à ses compagnons. Dans notre cas, si nous avions beaucoup d'esclaves et de chevaux, ne serait-ce pas eux les porteurs des responsabilités les plus lourdes en ce qui concerne les questions proprement matérielles ? Le travail de Jésus, néanmoins, est si grand à nos yeux que nous devons disputer aux autres chaque partie de son exécution dans notre propre intérêt.
Le jeune a semblé d'autant plus angoissé. L'énergie de Paul était déconcertante.
Mais ne serait-il pas plus prudent - a-t-il continué très pâle - de partir pour Alexandrie et de s'organiser au moins pour le faire dans des conditions plus faciles ?
Tandis que Barnabe accompagnait ce dialogue avec la sérénité qui le caractérisait, l'ex- rabbin a continué :
Tu donnes trop d'importance aux obstacles. As-tu déjà pensé aux difficultés que le Seigneur a certainement dû vaincre pour être parmi nous ? Même s'il pouvait traverser librement les abîmes spirituels pour arriver à notre cercle de perversité et d'ignorance, nous devons considérer la barrière de boue de nos misères viscérales... Et tu t'épouvantes à peine des quelques écarts de chemin qui nous séparent de Pisidie ?
Le jeune s'est tu, de toute évidence contrarié. L'argument était excessivement fort, à ses yeux, et ne laissait place à aucune autre objection.
Dans la soirée, Barnabe, visiblement inquiet s'est approché de son compagnon et lui exposa les intentions de son neveu. Le jeune avait décidé de retourner à Jérusalem. Paul a entendu calmement ces explications, mais ne put s'opposer à une telle décision.
Ne pourrions-nous pas l'accompagner un morceau, au moins, pour qu'il soit plus proche de sa destination ? -a demandé l'ex-lévite de Chypre, inquiet pour son neveu.
Une destination ? - a dit Paul surpris. - Mais nous avons déjà la nôtre. Depuis notre premier accord, nous avions programmé l'excursion à Antioche. Je ne peux t'empêcher de tenir compagnie au jeune ; moi, néanmoins, je ne dois pas modifier le parcours tracé. Au cas où tu déciderais de retourner avec lui, je continuerai seul. Je pense que les entreprises de Jésus ont leur juste moment de réalisation. Il faut en profiter. Si nous repoussons la visite à Pisidie au mois prochain, peut-être sera-t-il trop tard.
Barnabe réfléchit quelques minutes puis lui dit convaincu :
Ton commentaire est incontestable. Je ne peux rompre nos engagements. De plus, Jean est un homme et il pourra repartir seul. À ces fins, il a l'argent nécessaire donné par les soins maternels.